Jeudi 29 septembre 2022, un incendie s’est déclaré au cœur de la capitale paraguayenne, Asunción, pour ravager le Tribunal supérieur de justice électorale (TSJE), soit l’instance suprême du pays en la matière. Dans ce gigantesque brasier, les milliers d’urnes électroniques qui y étaient stockées ont également été réduites en cendres… en ne pouvant désormais plus servir à la primaire interne du 18 décembre prochain des grands partis politiques, ni à l’élection présidentielle prévue en avril 2023.
Selon Jaime Bestard, président de cet organe judiciaire, environ « 8.500 urnes électroniques et leur matériel électoral » sont parties en fumée, conduisant à la création immédiate d’un « comité de crise » pour enquêter sur les causes de cet incendie, contre lequel 300 pompiers ont lutté en vain pendant près de six heures. En vain, puisque tout a brûlé à l’intérieur, et que le bâtiment devra certainement être démoli.
Selon la presse locale, un fonctionnaire du tribunal (coordinateur électoral du département de Concepción) est décédé dans son bureau suite à l’inhalation des fumées, rouvrant un début de polémique sur l’évacuation de la centaine de membres du personnel alors présents, dans un pays où ce sujet est particulièrement sensible depuis la tragédie de 2004 – bien que cela n’ait rien à voir dans ce cas*. Quant à l’incendie du Tribunal supérieur de justice lui-même, il aurait précisément démarré « à l’heure de la sieste » (vers 14h) dans le bloc G du bâtiment… celui où se trouvaient les urnes électroniques et les serveurs informatiques du système électoral national.
Concernant les dégâts précis évalués quelques jours plus tard, ce sont en réalité 7 780 machines à voter (sur les 22 000 dont disposait le Paraguay) qui ont été consumées par l’incendie, mais aussi l’ensemble des équipements nécessaires au Système de Transmission des Résultats Électoraux (TREP). Soit un kit composé à chaque fois des éléments suivants : une imprimante spéciale pour émettre un « bulletin TREP » vierge avec puce RFID remis aux électeurs par le président du bureau de vote, plus un notebook avec écran tactile sur lequel choisir son candidat après y avoir inséré ce bulletin (ladite « machine à voter »), plus un scanner pour lire le QR code imprimé sur le bulletin après que la machine l’ait recraché afin que l’électeur puisse vérifier qu’elle a correctement codé son choix, ainsi que deux modems internet pour que la machine à voter puisse envoyer en temps réel les résultats au système central de décompte, plus un appareil utilisé pour lire la puce RFID du bulletin au cas où le QR code ne serait pas reconnu par le scanner… ce qui fait un autre bon paquet de matos parti en fumée, en plus des murs du Tribunal supérieur de justice électorale et de son déjà vilain stock de « máquinas de votación ».
Enfin, et puisqu’il fallait bien une belle cerise sur un tel gâteau flambé, Dominick Ramírez (directrice-adjointe des technologies de l’information du tribunal) a tenu à préciser le 1er octobre dans une interview, que le fournisseur officiel des urnes électroniques du pays venait de lui annoncer qu’il serait impossible de les remplacer avant bien longtemps… vu l’actuelle pénurie en semi-conducteurs de leur constructeur chinois ! Ce qui n’a évidemment pas manqué de provoquer de passionnants débats locaux à propos du manque brûlant de machines à voter, comme « faut-il élargir les horaires de vote électronique ou reporter le scrutin du 18 décembre prochain ? » et « la compagnie d’assurance du Tribunal paiera-t-elle à temps les 10 millions de dollars de dégâts normalement couverts, afin de pouvoir louer quelques machines d’occaz au Brésil voisin ? », etc.
Tout cela, avant qu’un membre éminent de feu le Tribunal électoral suprême, Cristhian Ruiz Díaz, son directeur financier, ne suggère d’utiliser tout bêtement les téléphones portables pour remplacer une partie du matériel détruit, afin de « scanner le QR code imprimé [sur chaque bulletin validé] par la machine à voter, pour le transmettre directement au siège central de la justice électorale ». Et c’est ainsi que le plus pauvre des pays d’Amérique latine –où plus de 80 % des terres cultivables sont possédées par 2,6 % de propriétaires terriens qui en ont fait le quatrième exportateur mondial de soja (transgénique)–, risque paradoxalement d’avoir la dictature formelle de la majorité la plus technologiquement avancée du continent. Celle où tous ceux qui se sont réjouis de l’incendie de plus d’un tiers des machines à voter du pays parce qu’ils souhaitent la destruction du pouvoir plutôt que sa délégation, pourront désormais tourner leur regard vers les antennes de téléphonie mobile pour achever le travail…
[Synthèse de la presse paraguayenne, 2 octobre 2022]
* Le 1er août 2004, 400 personnes sont mortes dans l’incendie accidentel d’un complexe commercial à Asunción, après que les propriétaires aient cadenassé ses portes afin d’empêcher les clients de partir sans payer…