[Note : article d’hier complété le 21 juin, en rajoutant des infos sur les destructions de collèges, sur les enquêtes judiciaires en cours, sur les tirs d’armes à feu contre les gendarmes, sur les dégâts dans la ville de Nouméa, et sur la poursuite des blocages et affrontements la nuit du 20 au 21 juin…]
Décidément, depuis le début de l’insurrection kanak du 13 mai dernier, le moins que l’on puisse dire, est que si les jours (et les nuits) se suivent, ils ne se ressemblent pas. Alors que certains commençaient à se rassurer sur une baisse de la tension dans l’archipel depuis une semaine, force est de constater que ce n’est absolument pas le cas. Plutôt que de revenir en détail sur tout ce qui s’est passé depuis le dernier article publié ici, nous avons choisi de nous attarder sur deux journées : le 17 juin avec sa rentrée scolaire incandescente, et le 19 juin et ses suites, avec l’arrestation de 11 personnes présentées comme des leaders de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). En commençant par les événements survenus il y a deux jours.
19 juin, 6h. Arrestation de onze responsables de la CCAT
Mercredi 19 juin en fin de matinée, une tension sourde a soudain envahi les rues de Nouméa, dans une normalité patrouillée par 3500 flics et militaires, et sous couvre-feu permanent depuis six semaines (désormais à partir de 20h au lieu de 18h). Dès que la nouvelle de l’arrestation de plusieurs responsables de la CCAT a commencé à se répandre, les craintes de représailles sont vite montées en flèche dans la population loyaliste de la capitale. Nombre d’entre eux se sont rués sur les stations essence pour faire le plein, puis ont massivement regagné leur domicile, provoquant des embouteillages monstres. Les structures d’accueil pour enfants ont appelé d’urgence les parents, afin qu’ils viennent récupérer leur progéniture. La plupart des commerces ont baissé leurs rideaux. La Poste (OPT) et les trois grandes banques (BCI, BNC et Société Générale) ont fermé l’ensemble de leurs agences jusqu’à nouvel ordre dans tout l’archipel. Et les principales structures administratives de Nouméa, à l’image de la mairie, ont également clos leurs portes pour le reste de la journée.
En quelques heures à peine, les rues de Nouméa sont rapidement devenues « aussi désertes qu’aux premiers jours des violentes émeutes contre la réforme du corps électoral, mi-mai », selon les mots d’un journal du soir. Car pendant que tout ce beau monde retenait son souffle, de vives discussions animaient une fois de plus les barrages (alors plus filtrants que bloquants) tenus par les insurgé.es kanak, à propos du fameux « que faire ? », mais aussi des tentatives d’endiguement de leur colère face à cette opération policière en grande pompe.
Si le parti indépendantiste Union Calédonienne a par exemple immédiatement dénoncé cette vague répressive (à l’inverse des autres), il a également appelé dès la fin de matinée dans un communiqué « l’ensemble des relais CCAT ainsi que notre jeunesse au calme et à ne pas répondre à la provocation. Tant sur le terrain que sur les réseaux sociaux ». Quant à la Cellule de coordination des actions de terrain/Nationale, elle transmettait le soir même aux groupes locaux un communiqué disant peu ou prou la même chose, tout en faisant le tour des barrages pour tenter de convaincre les jeunes d’organiser plutôt des bingos de solidarité afin de récolter des sous pour les prisonniers : « Concernant les arrestations, tous les militants engagés dans la CCAT étaient préparés à cette éventualité, et cela fait partie de l’engagement de chacun d’entre nous. La CCAT appelle l’ensemble des militants indépendantistes à ne pas répondre à cette nouvelle provocation, à démontrer notre détermination et à ne pas tomber dans cette manœuvre coloniale d’un autre temps. »
La nuit du 19 au 20 juin pourtant, de nombreux insurgés de Nouméa n’ont une fois encore pas respecté les consignes des dirigeants indépendantistes, en se lançant vaille que vaille dans la bataille, renforçant ou remontant ici les barrages, et affrontant là des flics en surnombre. Tant et si bien que le représentant de l’État français déplorait dans son bref communiqué matutinal du lendemain, que « des troubles à l’ordre public sur Nouméa, notamment à Magenta, et le Grand Nouméa ont nécessité de nombreuses interventions des forces de l’ordre».
Une reprise de l’intensité dans les hostilités, qui a même conduit le grrrand commandant de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie, le général Nicolas Matthéos, à sortir du silence en donnant une interview à la télévision locale, puisque la nuit suivante du 20 au 21 juin a également été marquée par une reprise des affrontements : « Nous avons été de nouveau confrontés à des jeunes qui remettent des barricades, qui s’en prennent violemment aux gendarmes, aux forces de l’ordre. Nous avons eu de nombreux véhicules abîmés cette nuit… La nuit précédente, trois gendarmes ont été blessés. Il y a eu, de nouveau, des tentatives pour remettre des barrages, pour détruire aussi. Il faut souligner cette volonté de destruction de ceux qui sont face à nous, et cette volonté de s’en prendre aux forces de l’ordre et aux gendarmes mobiles engagés sur le terrain. Je demande vraiment aux responsables, aux chefs de famille de prendre leurs responsabilités, il faut que cette situation cesse… »
Plus précisément, cette nuit-là du 20 au vendredi 21 juin, des affrontements avec les flics ont eu lieu dans les quartiers nouméens de Vallée-du-Tir, Magenta et Tuband, tandis que dans celui de Normandie, des pillages ont eu lieu dans le collège et le logement de fonction d’un cadre de l’établissement a été incendié. En dehors de la capitale, à Dumbéa-sur-mer, une trentaine d’émeutiers a attaqué les locaux de la police municipale. Au Mont-Dore, les gendarmes ont été la cible de tirs. Et sur l’île de Lifou, des insurgés se sont introduits vers 4h du matin sur le tarmac de l’aérodrome de Wanaham, après avoir découpé une clôture. Puis ils enflammé de gros pneus sur la piste, ce qui l’a dégradée et a conduit Air Calédonie à annuler tous ses vols à destination de Lifou pour ce week-end.
Quant aux autres endroits, dans le Nord la CCAT locale a mis en place dès le 19 juin un barrage très bloquant sur la route Poya-Népoui, et dans le Sud, à Yaté, elle a bloqué l’accès à la centrale hydroélectrique d’Enercal ainsi qu’à la mairie du village, en exigeant la libération des 11 arrêté.es.
Enfin, pour illustrer le propos alarmiste du commandant des forces de gendarmerie en Kanaky, on peut aussi se référer aux confidences recueillies par un journaflic auprès du cabinet du ministère de l’Intérieur, à propos des énormes difficultés de son corps militaire face à des insurgés kanak parfois armés : « en l’espace de dix jours, le pilote d’un blindé de la gendarmerie et un opérateur du GIGN ont failli perdre la vie après des tirs d’armes de gros calibre : la vitre d’un véhicule a sauvé le premier, le deuxième a reçu une balle dans son sac alors qu’il était embarqué à bord d’un hélicoptère [Puma] qui a écopé de trois impacts » (Le Monde, 21/6).
Sur la rafle policière proprement dite
En réalité, tout avait commencé la veille, mardi 18 juin, avec la publication dans la presse d’une très officielle « Lettre du Président de la République aux calédoniens ». Derrière le bla bla de Macron à propos de la future « constitution d’un nouveau contrat social calédonien », chacun avait pourtant compris que le paragraphe le plus important était le suivant : « J’attends aujourd’hui la levée ferme et définitive de tous les barrages et la condamnation des violences sans faux-semblants. La situation dans laquelle la Nouvelle-Calédonie a été réduite par quelques-uns demeure inadmissible, et ceux qui l’ont encouragée devront répondre de leurs actes ».
Dès le lendemain à l’aube, les enquêteurs de la Section de recherche de la gendarmerie de Nouméa, appuyés par la Sous-direction antiterroriste (SDAT) et le Groupe interministériel de recherches de Nouméa (GIR), dont beaucoup de membres sont arrivés de métropole par avion militaire au début de l’insurrection, ont décidé de présenter l’addition à la CCAT. Dans un premier temps, sept personnes ont été arrêtées dans différents quartiers de Nouméa vers 6h par le GIGN et le RAID, tandis que les locaux de la CCAT situés au siège du journal de l’Union Calédonienne (UC), dans le quartier de Magenta à Nouméa, étaient aussi perquisitionnés.
Quant aux autres personnes recherchées, une a été interpellée vers 16h au volant de sa voiture, et les trois autres ont contacté d’elles-mêmes la gendarmerie au fur et à mesure, dont Christian Tein (dit « Bichou »), régulièrement présenté par les autorités comme un de ses principaux leaders. Les 11 personnes sont désormais en garde-à-vue à la caserne Meunier, pour une durée qui peut aller jusqu’à 96 heures, accusées au titre d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet quatre jours après le début de l’insurrection, pour : « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ou d’un délit, vols avec arme et en bande organisée, destruction de biens par incendie en bande organisée, complicité par instigation des crimes de meurtre et tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique, et participation à un groupement formé en vue de la préparation d’actes de violences sur les personnes et de destructions de biens. »
Plus généralement…
En matière répressive, les chiffres actualisés au 19 juin par le parquet concernant les d’audiences dites de comparution immédiate exceptionnelle qui se déroulent quotidiennement, sont les suivants : depuis le 13 mai, il y a eu 1102 gardes à vue, 164 défèrements, 94 personnes jugées en comparution immédiate et 73 personnes incarcérées.
Sur ce millier de gardes à vue, 104 impliquent des jeunes mineurs, (soit environ 10 %), les deux tiers (655) concernent des atteintes aux biens (vols, beaucoup de recels d’objets volés, des dégradations volontaires) et un quart (239) sont liées à des atteintes aux forces de l’ordre, que ce soit des gendarmes en poste, des gendarmes mobiles en mission, des policiers nationaux ou des policiers municipaux. De plus, douze informations judiciaires ont été ouvertes, concernant notamment les neuf personnes tuées par balles (six kanak, deux gendarmes et un caldoche), dont deux concernent aussi le sabotage de la serpentine de Kouaoua (le convoyeur de nickel utilisé par la SLN) et, complète le procureur de Nouméa Yves Dupas le 21 juin : « On a toute une série de procédures sur du recel de vol d’argent dans des DAB », ces distributeurs automatiques de billets qui ont été ciblés à de nombreux endroits.
Encore une fois, ces chiffres sont à replacer dans le contexte d’un archipel peuplé de 112 000 kanak (sur 270 000 habitants), et chacun.e peut sortir sa règle de trois pour se faire une idée de l’équivalent en métropole.
17 juin. Une rentrée scolaire de cendres et de feu
En Nouvelle-Calédonie, le calendrier scolaire annuel prévoyait des vacances du 1er au 16 juin, mais elles ont commencé quelques semaines plus tôt, avec le début de l’insurrection du 13 mai suivi du placement de l’archipel sous état d’urgence (du 13 au 28 mai). Plus d’un mois est passé, et les autorités ont décidé qu’il était vraiment temps de rouvrir « progressivement » les écoles et collèges à partir du lundi 17 juin (sachant qu’il n’y a plus de transport scolaire ni de cantine partout), puis les lycées la semaine suivante, et l’université à partir de juillet. Mais sur une partie du territoire seulement, puisque tous les collèges et lycées publics de province Nord (à majorité kanak) restent fermés jusqu’à nouvel ordre.
Commençons donc par effectuer un petit tour du côté des destructions d’établissements en Province Sud (celle de Nouméa), puisque si les commerces, entreprises et industries ont été largement concernées par les pillages et incendies volontaires, il n’y avait pas de raison à ce que les structures de préparation à l’esclavage salarié soient épargnées. Au total, selon la vice-présidente du gouvernement calédonien en charge de l’enseignement, une vingtaine d’écoles ont été « très dégradées », notamment sur Nouméa : Gustave Lods et Les Orchidées à Logicoop, Les Pervenches à Portes-de-Fer, etc. Et une dizaine d’établissements du secondaire ont été « totalement détériorés » sur le Grand Nouméa : le lycée Petro Attiti à Rivière-Salée, les collèges de Kaméré, d’Auteuil et de Boulari, ou « partiellement abîmés », ceux de Portes-de- Fer, Tuband, Rivière-Salée, Dumbéa-sur-Mer, et Saint-Pierre Chanel dépendant de la Ddec (Direction diocésaine de l’enseignement catholique), au Mont-Dore.
Du côté des établissements d’enseignement professionnel, ont été notamment détruits ou entièrement saccagés l’Institut de formation des professions sanitaires et sociales (IFPSS, connu comme l’école d’infirmières) de Nouville qui accueillait 200 étudiant.es, le Centre de Formation aux techniques de la Mine et des Carrières (CFTMC) à Poro en Province Nord, le Centre de formation des apprentis (CFA) de Nouville qui accueillait 250 apprentis, mais aussi le lycée pro Pétro-Attiti déjà cité, situé dans le quartier de Rivière-Salée et qui accueillait 780 élèves.
C’est ce dernier qui a particulièrement fait l’actualité en cette rentrée partielle, puisqu’il ne pourra pas rouvrir avant 2025, et nous a même valu dans la presse locale un commentaire lumineux de son proviseur, Jean-Luc Barnier. Ce grand génie du progrès n’a en effet rien trouvé de mieux que d’y traiter les jeunes émeutiers kanak d’individus privés « de la moindre once d’humanité », c’est-à-dire concrètement de barbares à civiliser, parce qu’ils ont osé ravager son usine à produire de la chair à patrons : « Les moindres recoins du lycée professionnel Pétro-Attiti ont été méthodiquement pillés, saccagés, détruits et même incendiés… Tous les écrans d’ordinateur, les photocopieurs, même les mannequins qui servaient à la filière d’aide à la personne ont été démembrés. Je ne comprends pas. Il n’y a plus une once d’humanité chez ceux qui ont causé ces ravages. » (LNC, 17 juin)
Si on s’intéresse maintenant aux deux grands collèges des quartiers populaires kanak de Nouméa, un aperçu de leur ravage émeutier donne les dégâts suivants :
- Au collège de Rivière-Salée (384 élèves), les dégâts sont très importants, avec trois bâtiments sur quatre inutilisables. « Il y a eu des saccages, des incendies et l’eau utilisée pour éteindre le feu a détruit les systèmes électriques. Nous avons aussi perdu tous nos serveurs. La partie informatique et administrative n’existe plus non plus », liste Éric Vallon, le chef d’établissement.
- Au collège de Kaméré (370 élèves), les dégâts sont également importants : deux bâtiments, cinq salles de classe, la vie scolaire, le CDI ou encore la salle des professeurs et le pôle santé ont été détruits ou saccagés.
Malgré l’ensemble des dégâts causés à différents établissements, la ville de Nouméa se montrait plutôt optimiste pour cette rentrée du 17 juin, en souhaitant rouvrir 22 écoles sur les 46 qui existaient avant le mois de mai. Un chiffre qui a cependant vite diminué, puisque de nouveaux incendies la nuit du 15 au 16 dans le quartier de Tuband l’ont contrainte à annuler la rentrée pour l’école Ernest-Risbec, et que l’incendie du bâtiment où était stocké le matériel pédagogique de l’école primaire François Griscelli la nuit du 16 au 17 juin, a également réglé la question dans le quartier de la Vallée du Tir.
Mais ce n’est pas tout, puisque les autorités qui avaient péniblement réussi à réaffecter 300 élèves du lycée professionnel Pétro-Attiti de Nouméa vers d’autres établissements restés intacts, ont encore perdu quelques moyens supplémentaires : dimanche 16 juin vers 19h, le bâtiment du lycée professionnel Jean XXIII de Païta abritant le matériel pédagogique et un container avec toutes les tenues des élèves ont été incendiés. Conclusion de la vice-présidente du gouvernement calédonien en charge de l’enseignement ? « Attaquer les établissements scolaires, quelles que soient les idées que l’on défend, est quelque chose d’inacceptable. Et si on devait perdre encore un nouvel établissement de cette ampleur, nos possibilités de redéploiement (des élèves) deviendraient quasiment impossibles. »
Et pour finir, du côté des îles Loyauté où les choses pouvaient sembler plus calmes jusqu’à présent, en cette même veille de rentrée scolaire, un incendie volontaire a éclaté la nuit du 16 au 17 juin dans les locaux administratifs du collège de La Roche, sur l’île de Maré. La rentrée y est désormais repoussée d’une semaine, « dans le meilleur des cas ».
Et pendant ce temps…
…des milliers de métropolitains s’enfuient de Kanaky, depuis la timide réouverture des vols commerciaux internationaux ;
… la Poste fait ses comptes, entre ses bureaux incendiés (quartiers de Logicooop, Magenta et Rivière-Salée) et ceux saccagés (à N’géa, Dumbéa nord, Koutio et Plum), tout en se demandant où continuer de stocker les 8 tonnes de courriers et colis à destination de l’archipel qui sont bloqués à Paris depuis plus d’un mois ;
… Prony Resources, qui exploite l’usine hydrométallurgique de transformation du nickel au Sud de l’archipel, a annoncé officiellement le 18 juin la mise au chômage partiel de ses milliers de travailleurs : l’insurrection qui a éclaté le 13 mai a en effet « entraîné l’arrêt total des opérations de notre complexe industriel et minier, en raison des risques pour la sécurité et des dommages aux infrastructures » (c’est-à-dire des sabotages déjà évoqués ici) ;
… Walles Kotra, un des premiers journalistes kanak à avoir occupé des fonctions importantes à la télévision (jusqu’à finir directeur de la chaîne publique locale Nouvelle-calédonie la 1ère de 2019 jusqu’à sa retraite en 2022), affiche son décalage passéiste avec les insurgé.es : « Dans les communautés, beaucoup d’adultes ne comprennent pas que la jeunesse brûle tout, même les écoles ou les bâtiments religieux. Cette destruction tous azimuts ne ressemble pas à leur culture… Personne n’a fait attention au fait que Nouméa soit devenue la plus grande ville kanak de Nouvelle-Calédonie, où plusieurs générations sont présentes sans trouver leur place, tiraillées, presque déracinées, coupées des chefs, des responsables coutumiers, ou des mamans de la tribu. » (Le Monde, 19/6) ;
… Sonia Backès, ex-secrétaire d’État macroniste chargée de la Citoyenneté (2022-2023), présidente de l’assemblée de la province Sud et loyaliste acharnée, appelle au meurtre des révoltés et pleure sur la faillite de son cher Caillou : « La France ne peut pas se laisser mettre en échec par des petits insurgés. On a l’impression que l’État s’empêche de répondre de manière proportionnée. Quand on se fait tirer dessus à l’arme lourde sur un hélicoptère Puma, est-ce normal de repartir comme on est venu ?… Dans les faits, les indépendantistes radicaux visent les populations non kanakes comme les nazis visaient les juifs… La Nouvelle-Calédonie est en faillite totale au niveau des collectivités, du système électrique ou encore de protection sociale. La société Énercal (distributeur d’électricité) ne peut plus payer ses bateaux de fioul à partir du mois de juin. Le Ruam (la Sécu) ne peut déjà pas payer le chômage partiel *. Nous avons un mois de durée de vie. Au-delà, nous ne serons plus capables de payer les salaires des fonctionnaires. Si l’État ne vient pas à notre secours, il n’y aura plus de Nouvelle-Calédonie française. » (interview dans Le Point, 20/6) ;
… Sonia Lagarde, ex-députée macroniste de Nouvelle-Calédonie (2012-2017), maire de Nouméa depuis 2014 et loyaliste acharnée, compte les dégâts dans sa chère ville : « Toutes les exactions qui ont été commises dans la ville représentent aujourd’hui huit milliards de francs Pacifique [480 millions d’euros]. Cela comprend les écoles qui ont brûlé, les deux médiathèques, le pôle de service de Rivière-Salée, les 57 caméras de vidéosurveillance hors service, plusieurs dizaines de véhicules, une partie de nos ateliers municipaux, les routes qui sont très endommagées… La liste est relativement longue. » (N-C la 1ère, 21/6)
… il paraît que les prochaines élections législatives se dérouleront aussi en Kanaky dans dix jours. On vous passe ici toute la tambouille politicienne locale, en se contentant d’une petite note d’ambiance relevée dans la bouche d’un des deux députés macronistes de l’archipel : « On a de telles difficultés que le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, l’équivalent de la préfecture, nous dit qu’il ne prendra pas en charge la distribution des professions de foi ou l’édition des affiches. Il n’y aura pas forcément non plus de panneaux publicitaires [électoraux] car la commune de Nouméa a peur que les panneaux se retrouvent dans la rue pour faire des barrages » (France24, 19/6).
Plus que jamais, la solidarité active reste nécessaire avec de jeunes insurgé.es kanak qui refusent de céder, tant aux pressions des organisations politiques qu’à un écrasement promis par l’armada de l’État français. Et qui continuent aussi à démolir bout par bout l’économie et les structures institutionnelles dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas, quoi qu’en disent les partisans d’un rapport au monde univoque, en l’occurrence capitaliste, colonial et écocide.
* Note : ce n’est pas tout à fait vrai, parce que vu que la Nouvelle-Calédonie est désormais en cessation de paiements, l’État français va verser une subvention de 51 millions d’euros à l’organisme calédonien dédié (la Cafat), pour qu’il puisse payer rétroactivement les allocations de chômage spécifique (partiel et total) sur la période de mai et de juin. Il s’agit du chômage engendré par la situation actuelle, soit « entre 7 000 et 10 000 salariés » et un peu plus de 1 000 entreprises concernées, dont près de la moitié « sont détruites entre 50 et 100 % ». De plus, l’État s’est engagé à rembourser la moitié des salaires versés par la Province Sud (celle de Sonia Backlès) à ses 5 700 fonctionnaires, soit 3,77 millions d’euros en mai. Tous ces chiffres donnent une petite idée du fric que l’État français commence à déverser sur place, pour tenter de maintenir à flot une colonie mise en faillite par les insurgés kanak en six semaines.
[Synthèse de la presse locale et pas que, 20&21 juin 2024]
NB : cet article fait suite à « Nouvelle-Calédonie : barrages, sabotages et tambouilles politiques » (14 juin), « Nouvelle-Calédonie : l’insurrection kanak et l’industrie du nickel » (8 juin), « Nouvelle-Calédonie : l’Etat colonial face aux prisonniers kanak » (1er juin), « En Kanaky, rien n’est fini… » (25 mai) et « Le chiffre du jour en Kanaky : 400 et 1 » (21 mai)