2009 : Multiplication des « auto-réductions » ?

Multiplication des « auto-réductions » ?

Il y a eu les « Robins des Bois » grecs de Thessalonique qui pillaient des supermarchés et en faisaient des banquets de quartier. Il y a eu aussi les pic-nic du NPA pour faire un peu d’agitation électorale « contre la vie chère ». Et puis, dans cet air du temps contestataire, sont réapparues les « auto-réductions ». Mais ne jouons pas sur les mots : ce terme, emprunté au mouvement autonome des années 70, signifie de puis longtemps – dans le néolangage « militant » contemporain – un transfert collectif de marchandises vers la sortie du magasin sans les payer.

Depuis décembre [2008], et plus encore avec mouvement étudiant qui se traîne depuis trois mois derrière les profs et les chercheurs, ces formes d’action ont refait surface. Sous un même vocable se cachent pourtant des pratiques bien différentes : l’exhibition de sa misère de « précaire » avec journaleux embarqués et accord de la direction (Monoprix, Paris) n’est pas si éloignée des crétins assis en train de crier « non-violence » pendant que d’autres négocient pour laisser au directeur le choix des produits à fourguer discrètement à l’arrière du magasin (Carrefour, Grenoble). Mais ces deux formes sont bien différentes de celle de la bande d’inconnus masqués qui sont allés briser les vitrines et se servir pendant une manif nocturne (Monoprix, Nantes) ou des centaines de sacs de bouffe, portables et accessoires informatiques sortis en force suivi d’un bref assaut du commissariat du quartier (Carrefour Market de Villejean, Rennes).
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La solitude du coureur de fond

« Puissance et vitesse font de lui un athlète particulier. Son truc, ce sont les courses courtes et toniques »
Une journaliste

R. H. a 33 ans et vit à Sélestat, une petite bourgade du Bas-Rhin comme les autres, avec ses maisons trop kitsch à colombage, ses nids de cigogne et son folklore désuet. C’est un amateur de course à pied de bon niveau qui a régulièrement les honneurs de la presse régionale pour ses performances en Alsace et dans les Vosges sur le 5 et le 10km. Totalement inconnu des services de police au point de passer pour un « monsieur tout le monde », il connaît surtout parfaitement tous les petits sentiers viticoles enchanteurs de sa région, qu’il parcourt jusqu’à dix fois par semaine pour s’entraîner la veille des courses amateurs qu’il affectionne.
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2019 : Compte-rendu du procès de Claudio Lavazza pour braquage

Compte-rendu du procès de l’anarchiste Claudio Lavazza pour le braquage de la Banque de France à Saint-Nazaire en 1986
(4-8 novembre 2019, Paris)

Dans les années soixante-dix, Claudio Lavazza, rebelle, anarchiste, braqueur et gentleman, a participé à la lutte révolutionnaire contre l’État et le Capital en Italie, les armes à la main. Contrairement aux fossoyeurs de la subversion de ces années-là, il n’a pas troqué le désir de tout bouleverser pour une petite carrière politique, il ne s’est pas résigné, et n’a pas non plus cherché à se mettre à l’abri dans d’autres États en mesure de lui accorder une liberté contrôlée. Non, il a continué à lutter, contre vents et marées.

En 1996, après 16 années de cavale lors desquelles il n’a jamais renoncé à sa cohérence d’anarchiste, ni à la joie de vivre en homme libre, il est arrêté en Espagne après un braquage de banque au cours duquel deux policières sont abattues. Claudio est alors enfermé dans les modules spéciaux FIES, et depuis ces lieux mortifères, il continue son combat avec fermeté et persévérance.

Après avoir purgé 23 ans dans les geôles espagnoles, il est extradé en France en juillet 2018 pour y être jugé dans l’affaire du braquage de la Banque Nationale de France de Saint-Nazaire, survenu en 1986. Par le passé, les juges français l’avaient déjà condamné par contumace à 30 ans pour ce braquage.

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Cellnex, le roi trop méconnu des pylônes de télécommunication

Avis aux amateurs, les antennes de téléphonie mobile ne sont pas seulement à détruire, elles sont aussi à vendre ! Et c’est même du gros business.

En 2018, Altice s’est séparée de ses 10 200 antennes SFR pour 2,5 milliards d’euros, en les revendant au consortium Hivory, qu’elle possède avec le fonds d’investissement américain KKR. En échange, SFR s’est engagé à relouer à Hivory ces antennes auparavant possédées en propre pendant vingt ans. Le bien connu TDF [1], qui possède les plus beaux emplacements du pays de par sa gestion initiale des relais de radio et de télévision herziennes, cherche également depuis 2019 à vendre ses 13.900 pylônes estimés à 3,5 milliards d’euros, tandis qu’Iliad (Free) vient de réussir en mai de cette année à fourguer les siens, pas moins de 10 700 antennes de téléphonie mobile situées en France, Italie et Suisse, contre 2,7 milliards d’euros à une entreprise espagnole trop peu connue, Cellnex.
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Contributions anarchistes à propos du mouvement des gilets jaunes

Recueil de textes anarchistes à propos du mouvement des gilets jaunes, 24 p., août 2019

Extrait :

…Un tel mouvement de révolte pour le moins inédit dans le contexte français a bien entendu provoqué au départ l’hostilité des idéologues de tout poil, aussi bien du côté des marxistes que des anarchistes. Pour les premiers, le fait que les gilets jaunes ne se posent pas socialement à partir du travail, c’est-à-dire de leur place dans les rapports de production, mais aient entamé une timide critique de leur l’existant à partir de la sphère de la reproduction (les conditions de survie qui ont été résumées par « les fins de mois difficiles ») ne pouvait qu’heurter leur vision économiciste. Si on rajoute à cela que selon leur grille de lecture de dinosaures ce mouvement a débuté avec une dimension « interclassiste » en appelant tout le monde à le rejoindre (petits patrons, autoentrepreneurs, artisans et commerçants inclus, au nom de la lutte « des petits contre les gros »), il va de soi que beaucoup d’entre eux sont longtemps restés imperméables à ce qui se passait. Du côté anarchistes, si on met à part les compagnons pour lesquels la question révolutionnaire ou insurrectionnelle est de peu d’importance, c’est notamment la revendication initiale sur les carburants et la présence de l’extrême-droite dans les manifestations qui a servi de repoussoir. Le symbole de sa présence, ou plus généralement de minorités nationalistes et réactionnaires, étant bien entendu pour eux ces drapeaux français brandis au vent et ces Marseillaise entonnées plus que de coutume.
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Squamish (Canada) : saboter l’industrie du tourisme

SansAttendre, 24 août 2019

La ville de Squamish (Canada), est située au nord de Vancouver. Une de ses fières attractions destinée aux touristes de la province de Colombie-Britannique est un téléphérique nommé Sea to Sky, construit par un entrepreneur entre les chutes Shannon et le col qui mène au mont Habrich situé à 820 mètres au-dessus du niveau de la mer, après avoir traversé un parc naturel. Selon ses riches promoteurs avides d’exploiter la moindre parcelle de montagne encore intacte, ce périphérique peut « transporter jusqu’à 240 personnes à la fois et offre une vue spectaculaire de la baie de Howe, sur la côte pacifique canadienne ». Ou plutôt « était » une de ses attractions, devrait-on dire par souci de précision, puisque la trentaine de cabines se sont lamentablement écrasées puis brisées au sol la nuit de samedi 10 août 2019, suite au sabotage de leur câble porteur de 2 km de long vers 4h du matin. Les dégâts sont estimés à plusieurs millions de dollars, sans compter l’importante perte de revenus causée par la fermeture prolongée du téléphérique.
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2019 : Quelques notes sur « La poussière, la pourriture et le mouvement »

Quelques notes sur « La poussière, la pourriture et le mouvement. Contribution aux débats sur la question révolutionnaire et quelques mots sur le « nihilisme » » (Ravage éditions, avril 2019)

Il faut reconnaître les efforts de nouvelles tendances au sein du communisme
contemporain visant à abolir toute forme de transition ou de gestion « révolutionnaire »…
Aviv Etrebilal

Est-il encore possible d’être marxiste aujourd’hui sans produire de l’idéologie,
comme l’a brillamment réussi, à l’occasion, Marx lui-même ?
Certainement que oui, mais les conditions ne sont peut-être pas
encore réunies pour un tel dépassement…
Aviv Etrebilal

***

Distribuer bons et mauvais points aux communistes, aux nihilistes et aux anarchistes contemporains
avec pour prétexte trois vieux articles signés Le Rétif, alias Viktor Kibaltchitch alias Victor Serge, voilà comment se traduisent les obsessions du compilateur de la brochure La poussière, la pourriture et le mouvement parue chez Ravage. Quant à la volonté de dépoussiérer un des plus vils exemples historiques de cheminement de l’anarchisme vers le communisme, de l’individualisme vers le bolchévisme (puis le trotskisme), cela touche certainement à une dimension introspective qu’on se gardera bien d’explorer. Mais pourquoi pas, après tout, si on apprécie les contorsionnistes de la politique.
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Invisible mais vrai

Il n’aura pas échappé à certains que les Champs-Elysées en flammes de samedi dernier peuvent être considérés comme une magnifique commémoration de la Commune de Paris. Qui sait combien y ont pensé. «  Paris respirait !… Partout s’agitait une vie intense… Adieu au vieux monde et à la diplomatie » écrivait Louise Michel à propos des événements qui ont débuté le 18 mars 1871 à Paris. « La Commune a été la plus grande fête du XIXe siècle » – commentèrent un siècle plus tard les situationnistes. « Ça a été fantastique, d’une joie impressionnante » – nous a écrit un anonyme compagnon à propos du 16 mars 2019 à Paris. L’ivresse de la révolte, dans l’assaut contre le pouvoir et ses petites mortifications quotidiennes, est un plaisir qui n’a pas besoin de chefs… Ah oui, au fait, et les chefs ?

Quelle tristesse, même les leaders révolutionnaires ne sont plus ceux d’autrefois. Si le 18 mars 1871 l’aspirant général de l’insurrection Blanqui ne put participer au soulèvement, c’est parce qu’il se trouvait en prison. Craignant son influence sur un climat social désormais incandescent, le chef du gouvernement Thiers avait pris des mesures et l’avait fait arrêter la veille. Eh bien, il semble que le 16 mars 2019, même l’autoproclamé héritier de Blanqui n’a pu (tenter de) chevaucher la révolte dans les rues de Paris. Mais pour une raison bien plus vulgaire : il était (et est toujours) en tournée à travers l’Italie pour vendre sa marchandise imprimée.
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Possibilités sans mesure

Il y a ceux qui regardent les révoltes et les sabotages qui sont en train de se passer en France avec un regard langoureux, et ceux qui en saisissent les possibilités. Il y a ceux qui restent au large, et ceux qui veulent stimuler les événements. Il y a ceux qui ne se sentent pas d’intervenir, et ceux qui pensent qu’être là où l’ennemi ne t’attend pas incarne la perspective de ne pas renoncer à l’irrévérence et à la furie iconoclaste : pour pousser ce monde à sa perte, plutôt qu’à sa gestion réaliste et prudente.

Lorsque la révolte se généralise, elle devient une revanche contre ce qu’on a toujours vu de loin. Toute marchandise volée, toute technologie interrompue, tout lieu du pouvoir abattu permettent non pas de reconnaître leur valeur d’usage et d’échange, mais la destruction de ce qui est distant. A travers le pillage de ce qui nous emprisonne, ce sont également les bases de la communication policière qui sont attaquées. Dans la révolte on aime avec passion et on hait à l’infini.
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Mouvement des « Gilets jaunes » : Saisir l’occasion

Plus d’une centaine de milliers de personnes en colère qui occupent depuis bientôt quatre semaines ronds-points et péages, qui tentent de bloquer et ralentir le fonctionnement des plate-formes logistiques de supermarchés, de dépôts pétroliers ou à l’occasion d’usines, qui se rassemblent tous les samedis dans les villes moyennes comme dans les métropoles pour prendre d’assaut préfectures et mairies, ou tout simplement détruire et piller ce qui les environne, voilà que l’automne accouche à l’improviste d’un énième mouvement social. De quoi faire accourir tous ceux qui aiment l’odeur des troupeaux, pour tenter de le chevaucher ou simplement être là où ça se passe en suivant l’odeur des lacrymos. Comme lors du mouvement syndical contre la Loi Travail de 2016 (mars-septembre) et ses suites contre les ordonnances en 2017 (septembre-novembre), ou celui contre la réforme de la SNCF cette année (avril-juin) en somme.

Sauf que ça ne s’est pas tout à fait passé comme cela.
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2010 : Sur le mouvement contre la réforme des retraites

[Les mauvais jours finiront est un numéro unique de 4 pages (A2) sorti fin octobre 2010 pour appuyer les manifestations émeutières en cours contre la réforme des retraites. Cette réforme, adoptée sous la Présidence de Sarkozy et le gouvernement de Fillon, allongeait d’un côté la durée de cotisation pour une retraite à taux plein et d’un autre entérinait le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Les mauvais jours finiront se concentre notamment sur la critique du travail, en se présentant comme « un recueil de quelques textes issus de différentes villes et qui nous ont semblés intéressants ».]


Les mauvais jours finiront

« Et quand le travailleur s’endort
il est bercé par l’insomnie
et quand son réveil le réveille
il trouve chaque jour devant son lit
la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui »

Un récent bilan ministériel pré-cisait qu’en l’espace de deux semaines (du 12 au 26 octobre), près de 2300 manifestants avaient été arrêtés, et 360 renvoyés devant des tribunaux qui distribuent à la chaîne des mois de prison ferme. En face, on ne compterait que 72 policiers et gendarmes blessés. Si on ajoute à cette pénible comptabilité quelques mesures symboliques comme l’équipe cagoulée du GIPN envoyée place Bellecour à Lyon contre les émeutiers ; les réquisitions administratives de travailleurs pour « atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques » ; ou encore l’envoi de l’armée à Marseille pour briser la grève des éboueurs, il est clair que nous vivons des temps de guerre.
Il faut dire que beaucoup d’entre nous n’ont pas attendu cette loi sur les retraites pour prendre la rue et y exprimer toute notre rage, tant les raisons de se révolter ne manquent pas. Depuis que nous respirons l’air vicié de ce monde de flics et de fric, l’État et les riches veulent nous enfermer dans leurs écoles, leurs bureaux, leurs cages à poules, leurs usines et leurs prisons. Ils tentent de nous contraindre à sacrifier toute liberté contre quelques miettes en fin de mois, contre un sourire à l’assistante sociale ou une courbette au patron du coin. Et si on traîne trop des pieds pour aller enrichir les bourges, on nous menace de crever la gueule ouverte dans la rue ou derrière des barreaux. C’est vrai quoi, nous sommes si fainéants que nous osons rechigner à leur vendre bras, cerveau, sueur et temps.

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