Vendredi 25 octobre dans la colonie française de Guadeloupe, peu après 8h30 du matin, des salariés-grévistes d’EDF en conflit depuis un mois avec leur direction ont envahi la salle des commandes de la centrale thermique de la Pointe Jarry, et mis à l’arrêt ses 12 moteurs*. Vu que cette centrale fournit la quasi-totalité de l’électricité sur cet archipel de 380 000 habitants, cela a provoqué « un incident électrique généralisé » – soit un black-out qui a duré 39 heures et 28 minutes, jusqu’au 26 octobre au soir et le rétablissement total de l’électricité dans l’île.
Suite à l’arrêt impromptu de la centrale, les autorités ont envoyé une demie-heure plus tard des gendarmes pour reprendre le contrôle de la salle de commande, puis ont réquisitionné par arrêté préfectoral les salariés nécessaires au rétablissement du bon fonctionnement de la centrale thermique, ce qui a pris plusieurs jours. Du côté de la rue, vu que la coupure était partie pour durer, le préfet a également décrété un couvre-feu (19h-6h) pour la nuit du 25 au 26 dans toute la Guadeloupe, puis dans 11 communes les deux nuits suivantes (22h-5h) : aux Abymes, Baie-Mahault, Basse-Terre, Gosier, Lamentin, Le Moule, Morne-à-l’Eau, Pointe-à-Pitre, Petit-Canal, Sainte-Anne et Sainte-Rose… histoire que personne ne saisisse l’occasion du black-out pour effectuer quelques transferts de propriété ou destructions ciblées. Soit officiellement « pour limiter la circulation des personnes qui pourraient bénéficier d’un manque de lumière pour porter atteinte aux biens… ».
Ce qui s’est bien entendu tout de même produit ! Alors, en avant pour un petit tour d’horizon non exhaustif de ce qui s’est passé en Guadeloupe quand alarmes, caméras, lampadaires, néons et antennes de téléphonie mobile ont été soudainement privées de jus…
Pillages de commerces et tractopelle
En quelques heures à peine cette nuit du 25 au 26 octobre, onze commerces ont été pillés dans la soirée sur la zone de Pointe-à-Pitre et des Abymes. Et pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit notamment d’un supermarché, d’une banque et de trois bijouteries.
Qui plus est, une tractopelle a été utilisée notamment contre les bijouteries pour faire céder leur rideau de fer, mais aussi contre un distributeur de billets de la Bred, qui a été littéralement arraché de la façade du bâtiment grâce aux mains habiles du conducteur masqué de l’engin..
Barrages enflammés et ripostes
Des barrages enflammés ont aussi été érigés à Pointe-à-Pitre, Les Abymes, Baie-Mahault, Le Lamentin, Le Moule, Morne-à-L’Eau et Sainte-Anne, afin de briser le monopole étatique du contrôle du territoire, mais aussi de « faciliter la casse », selon Harry Durimel, maire de Pointe-à-Pitre : « C’est la même méthode de créer des lieux d’attraction des forces de l’ordre quand on agit ailleurs ». Et lorsque ces dernières tentent d’intervenir, les émeutiers ont aussi de quoi les recevoir, selon le bilan officiel de la préfecture de Guadeloupe, qui précise par exemple qu’entre 2h45 et 3h du matin dans la zone de Pointe-à-Pitre, les forces de police ont essuyé trois salves de tirs à balles réelles contre la brigade de sûreté territoriale et contre le RAID.
Au total, les pompiers ont été sollicités pour éteindre 27 barrages à base de feux de poubelle et 6 véhicules en flammes.
Destructions de bagnes scolaires
Dans la commune de Baie-Mahault, la première nuit du black-out s’est plus traduite par des attaques et saccages d’établissements scolaires que de commerces. En plus des écoles Cora Mayeko, Merosier Narbal et Edinval qui ont été visitées par les émeutiers pour leur exprimer tout le bien qu’ils en pensent, c’est en particulier le collège de Gourdeliane qui a fait les frais du black-out.Après un saccage en règle, de hautes flammes ont ensuite ravagé une grande partie du bâtiment administratif du collège, dont le bureau du principal qui est parti en fumée. L’école maternelle a aussi été pillée, saccageant entièrement le bureau de la directrice, ainsi que la crèche d’en face. La deuxième nuit du black-out, une boutique de bijoux, parfums et sacs a aussi été attaquée à la disqueuse dans cette commune.
Du côté de la répression, on notera notamment une première condamnation lundi 28 octobre d’une personne à 18 mois de prison dont six mois avec sursis, pour le pillage d’un magasin de téléphonie à Pointe-à-Pitre, avec « obligation de rembourser les parties civiles, obligation de travailler » et le placement « sous bracelet électronique, car la maison d’arrêt de Basse-Terre est à 245 % de surpopulation carcérale ». De plus, concernant l’origine volontaire du black-out lui-même, la direction d’EDF Guadeloupe a déposé une plainte contre plusieurs salariés pour « mise en danger d’autrui, sabotage et destruction de biens d’utilité publique ». L’enquête est confiée à la Section de recherches (S.R.) de Pointe-à-Pitre.
Concernant les pillages de bijouteries, supermarchés et banque, ainsi que les incendies d’écoles, plusieurs enquêtes ont également été ouvertes… avec ce paradoxe qu’alors que le black-out avait rendu les caméras de vidéosurveillance urbaine aveugles, une partie des protagonistes et leurs proches a tout de même tenu à fournir gratos des images des pillages aux enquêteurs sur les réseaux sociaux…
* La Guadeloupe, archipel situé au milieu des Caraïbes, est une zone non interconnectée, ce qui signifie qu’elle doit produire elle-même son électricité pour satisfaire la demande sur le territoire. Sa production électrique dépend ainsi à près de 70% de l’énergie thermique: du fioul pour EDF et des granulés de bois pour la société Albioma, qui fonctionnait encore au charbon jusqu’en juillet. L’arrêt des moteurs de centrale de production d’électricité par les grévistes a entraîné un déséquilibre entre l’offre et la demande électrique, contraignant le gestionnaire du réseau, EDF Archipel, à couper toute l’île pour éviter que les équipements ne soient irrémédiablement endommagés.
[Synthèse de la presse locale, 25-28 octobre 2024]