[Un tract sorti le 13 mars dernier à Paris, quatre jours avant le premier confinement du printemps. A (re)lire en cette veille du second prévu pour durer jusqu’au 1er décembre minimum.]
Le décompte macabre des décès augmente de jour en jour, et dans l’imaginaire de chacun prend place la sensation, d’abord vague puis toujours un peu plus forte, d’être toujours plus menacé par la Grande Faucheuse. Pour des centaines de millions d’êtres humains, cet imaginaire n’est certainement pas nouveau, celui de la mort qui peut s’abattre sur n’importe qui, n’importe quand. Il suffit de penser aux damnés de la terre sacrifiés quotidiennement sur l’autel du pouvoir et du profit : ceux et celles qui survivent sous les bombes des États, au milieu de guerres infinies pour le pétrole ou pour les ressources minières, ceux et celles qui cohabitent avec la radioactivité invisible provoquée par des accidents ou des déchets nucléaires, ceux et celles qui traversent le Sahel ou la Méditerranée et qui sont enfermés dans des camps de concentration pour migrants, ceux et celles qui sont réduits à des morceaux de chair et d’os par la misère et la dévastation générées par l’agro-industrie et l’extraction de matières premières… Et même dans les terres que l’on habite, à des époques pas très lointaines, on a connu la terreur des boucheries à échelle industrielle, les bombardements, les camps de mort… toujours créés par la soif de pouvoir et de richesse des États et des patrons, toujours fidèlement mis en place par des armées et des polices…
Mais non, aujourd’hui on ne parle pas de ces visages de désespérés que l’on cherche constamment à garder loin de nos yeux et de nos têtes, ni d’une histoire désormais passée. La terreur commence à se diffuser dans le berceau du royaume des marchandises et de la paix sociale et elle est provoquée par un virus qui peut attaquer n’importe qui – bien que, évidemment, tout le monde n’aura pas les mêmes possibilités de se soigner. Et dans un monde où l’on est habitué au mensonge, où l’usage de chiffres et de statistiques est l’un des principaux moyens de manipulation médiatique, dans un monde où la vérité est constamment cachée, mutilée et transformée par les médias, on ne peut que tenter de mettre ensemble les morceaux, de faire des hypothèses, tenter de résister à cette mobilisation des esprits et se poser la question: dans quelle direction est-on en train d’aller?
En Chine, puis en Italie, de nouvelles mesures répressives ont été imposées jour après jour, jusqu’à arriver à la limite qu’aucun État n’avait encore osé franchir : l’interdiction de sortir de chez soi et de se déplacer sur le territoire sauf pour des raisons de travail ou de nécessité stricte. Même la guerre n’aurait pu consentir l’acceptation de mesures d’une telle portée par la population. Mais ce nouveau totalitarisme a le visage de la Science et de la Médecine, de la neutralité et de l’intérêt commun. Les entreprises pharmaceutiques, celles des télécommunications et des nouvelles technologies trouveront la solution. En Chine, l’imposition de la géolocalisation pour signaler tout déplacement et tout cas d’infection, la reconnaissance faciale et l’e-commerce aident l’État à garantir l’enfermement chez soi de chaque citoyen. Aujourd’hui les mêmes États qui ont fondé leur existence sur l’enfermement, la guerre et le massacre, y compris de leur propre population, imposent leur « protection » à travers des interdictions, des frontières et des hommes armés. Combien de temps durera cette situation? Deux semaines, un mois, un an? On sait que l’État d’urgence déclaré après les attentats a été renouvelé plusieurs fois, jusqu’à l’intégration définitive des mesures d’émergence dans la législation française. À quoi nous mènera cette nouvelle urgence?
Un virus est un phénomène biologique, mais le contexte où il naît, sa propagation et sa gestion sont des questions sociales. En Amazonie, en Afrique ou en Océanie, des populations entières ont été exterminées par les virus apportés par les colons, pendant que ces derniers imposaient leur domination et leur manière de vivre. Dans les forêts tropicales, les armées, les commerçants et les missionnaires poussèrent les gens – qui auparavant occupaient le territoire de manière dispersée – à se concentrer autour des écoles, dans des villages ou des villes. Cela facilita énormément la diffusion d’épidémies ravageuses. Aujourd’hui la moitié de la population mondiale habite en ville, autour des temples du Capital, et se nourrit des produits de l’agro-industrie et de l’élevage intensif. Toute possibilité d’autonomie a été éradiquée par les États et l’économie de marché. Et tant que la méga-machine de la domination continuera de fonctionner, l’existence humaine sera toujours plus soumise à des désastres qui n’ont pas grand chose de « naturel », et à une gestion de ceux-là qui nous privera de toute possibilité de déterminer notre vie.
À moins que… dans un scénario toujours plus sombre et inquiétant, les êtres humains décident de vivre comme des être libres même si c’est juste pour quelques heures, quelques jours, ou quelques années avant la fin – plutôt que de s’enfermer dans un trou de peur et de soumission. Comme l’ont fait les prisonniers de 30 prisons italiennes, face à l’interdiction de parloirs imposée à cause du Covid-19, en se révoltant contre leurs geôliers, dévastant et brûlant leurs cages et, dans certains cas, réussissant à s’évader.
Maintenant et toujours,
en lutte pour la liberté !
[Tract distribué à Paris dans la manifestation des Gilets Jaunes,
14 mars 2020]