Niort (Deux-Sèvres) : l’Etat se venge suite à Sainte-Soline

Manifestation interdite de Sainte-Soline : une figure militante
et un gilet jaune en prison
Courrier de l’Ouest, 22 juin 2023

Trois mois après les heurts survenus au pied de la « bassine » de Sainte-Soline, le tribunal correctionnel de Niort a condamné, ce jeudi 22 juin, un manifestant à dix mois de prison. Un autre a été placé en détention provisoire dans l’attente de son jugement le 27 juillet aux côtés de trois autres militants.

« J’y suis allé à la rage. Je voulais rentrer dans la bassine, voir à quoi ça ressemble. Je suis contre ces projets. C’était une curiosité malsaine ».  A la barre du tribunal correctionnel de Niort, ce jeudi 22 juin, Cédric, 42 ans, ne nie rien de sa participation à la manifestation interdite de Sainte-Soline marquée par des affrontements violents entre des milliers de militants et de forces de l’ordre il y a trois mois. Comme le rappelle le président Igor Souchu, il était  en première ligne  ce samedi 25 mars dans le sud des Deux-Sèvres. Aux côtés des blacks blocs qu’il décrit comme des éléments  protecteurs  avec lui.

Ce sont eux qui ont  équipé « d’un masque et de lunettes »  ce gilet jaune bordelais à la rue, arrivé seul dans la nuit sur le camp de Vanzay avec un k-way, une écharpe verte et un sac à dos bleu. Des affaires personnelles qui ont facilité son identification grâce à des captures d’écran et aux systèmes de reconnaissance faciale*.  « Je n’avais pas prévu de venir. C’est la veille que je me suis décidé en regardant la télé. J’ai dormi par terre la nuit. Jamais, je n’avais participé à un tel rassemblement. Je me suis laissé emporter. J’ai reçu des grenades, j’ai lancé des cailloux, ce n’est pas justifiable ». « Je ne sais pas s’il y a un autre abruti de mon niveau », reconnaît le prévenu qui semble s’enfoncer à chaque réponse.  « Je regrette qu’il y ait eu des blessés dans les deux camps », ajoute-t-il, les yeux larmoyants.

« Il n’y a pas grand-chose à dire sur les faits si ce n’est que mon client ne vit pas dans la violence perpétuelle. Il ne fait partie d’aucun réseau militant », a tenté de nuancer Julie Chopin consciente des lourds antécédents du quadragénaire, déjà condamné pour des violences avec arme et un outrage il y a une vingtaine d’années. Il a finalement écopé de dix mois de prison assorti notamment d’une interdiction de détenir une arme et de séjourner en Deux-Sèvres dans les cinq ans à venir.

« Une conjoncture qui vise à faire peur »

Loïc**, lui, sera fixé sur son sort le 27 juillet comme trois autres anti-bassines. En attendant, il a rejoint la prison de Vivonne, à côté de Poitiers, comme l’a requis le ministère public soucieux d’empêcher  la possible fuite  du jeune homme de 27 ans et  de prévenir le risque d’infractions similaires  dans le contexte de dissolution contestée des Soulèvements de la Terre.  « Placer quelqu’un en détention provisoire parce qu’il est militant, ce n’est pas un argument. Il y a une conjoncture juridico-politique qui vise à faire peur. Je m’inquiète de cette chaîne de raisonnement », a réagi sur un ton offensif l’avocate Hannah Rajenbach. Celle-ci a annoncé son intention de faire appel du mandat de dépôt.

Elle a désormais cinq semaines pour assurer la défense de son client, une figure de l’activisme. Celui-ci a déjà effectué 487 jours de prison en France et en Allemagne pour avoir participé aux protestations sociales contre le G20 à Hambourg en 2017 (pétard dans la vitrine d’une banque, jets de pierres contre un canon à eau et d’une bouteille de bière contre les forces de l’ordre). Dans le Mellois, on lui reproche sa présence dissimulée derrière une tenue de moine, des inscriptions sur un camion brûlé [ACAB] et le ramassage d’un gilet siglé de la gendarmerie*.  « J’aimerais qu’on mette les mêmes moyens à chercher un homme en habit de moine qu’à retrouver celui qui a tiré une grenade sur Serge », a-t-il déclaré avant d’être coupé par le président du tribunal, ce dernier l’invitant à prendre la parole dans un mois. Nul doute que ses soutiens seront plus nombreux à l’entendre. Ce jeudi, dans un palais de justice encore tenu par des dizaines de policiers, de gendarmes et de CRS, ils n’étaient que quatre dans la salle d’audience.

Trois hommes convoqués le 27 juillet

Comme l’a indiqué le parquet de Niort, dans le cadre des enquêtes confiées à la section de recherches de Poitiers à la suite de Sainte-Soline, cinq personnes ont été placées en garde à vue mardi 20 juin sur différents points du territoire national. Outre Cédric et Loïc, trois hommes âgés de 25, 26 et 27 ans, sont convoqués à la barre le 27 juillet. Ils devront répondre, pour l’unde l’infraction de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, pour les deux autres de l’infraction de recel de vol aggravé par deux circonstances.


Notes
* Selon son avocate, « C’est l’un des seuls que les forces de l’ordre ont réussi à identifier », son visage étant découvert à la fin de la mobilisation, puis c’est la reconnaissance faciale qui a permis d’identifier cet homme aux six mentions au casier judiciaire (Nouvelle République, 22/6). Traduction : c’est-donc très certainement en réussissant à le prendre en photo à visage découvert juste après les affrontements, puis en comparant cette dernière par logiciel de reconnaissance faciale présent sur leurs tablettes avec les photos contenues dans le fichier TAJ (Traitement des antécédents judiciaires), que son identité est sortie. Depuis 2012, l’utilisation de la reconnaissance faciale pour dénicher une identité est permise pour ce fichier-là à partir de n’importe quel type de photo (une tof prise directement par eux, ou une tof qu’ils ont glanée ailleurs : dans un album souvenir chez toi lors d’une perquiz, extraite d’une caméra de vidéosurveillance, d’une vidéo prise par un autre manifestant et mise en ligne, etc.)

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« Il lui est reproché d’avoir fait partie des groupes actifs de la manifestation ayant pour objectif de dégrader la réserve de substitution et les camions de la gendarmerie et de commettre des violences sur les militaires de la gendarmerie, d’avoir inscrit ACAB sur un des camions qui a brûlé, et d’avoir sciemment recelé une veste de gendarmerie volée dans un des camions », indiquait à la mi-journée Julien Wattebled, le procureur de la République de Niort, dans un communiqué.
– Pour infos, Reporterre a aussi publié le 23 juin un long sujet titré « Après Sainte-Soline, Loïc, poète maraîcher, risque 7 ans de prison » ici.
– Le blog de soutien (2018-2020) pendant son incarcération suite au G20 de Hambourg se trouve .