A propos du sabotage coordonné contre les lignes TGV à quelques heures des J.O.

Vandières (Meurthe-et-Moselle), 26 juillet 2024. Les câbles de fibre optique incendiés lors du sabotage coordonné du réseau TGV.

La nuit du jeudi 25 au vendredi 26 juillet, quelques heures avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, les lignes de trains à grande vitesse (TGV) ont été attaquées dans toutes les directions menant à la capitale. Soit une « attaque massive et coordonnée pour paralyser le réseau », comme l’ont titré de nombreux journaux. Rien que le vendredi, ce sont « 250 000 clients » qui ont été touchés par ces actes de sabotage, et « près de 800 000 sur le week-end », selon la compagnie ferroviaire. « A travers la SNCF c’est un bout de la France qu’on attaque et c’est les Français qu’on attaque » a immédiatement déclaré Jean-Pierre Farandou, le patron de la SNCF, tout en dénonçant les saboteurs comme « une bande d’illuminés, d’irresponsables ». De son côté, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera n’a pu contenir sa colère : « C’est les Jeux des athlètes qui en rêvent depuis des années et qui se battent pour le Graal de monter sur ces podiums, et on va leur saboter ça à eux ! Jouer contre les Jeux, c’est jouer contre la France, c’est jouer contre son camp, c’est jouer contre son pays ».

Carte des sabotages opérés sur les lignes à grande vitesse dans la nuit du 25 au 26 juillet 2024 (Le Monde)

Concrètement, dans le Nord, c’est à Croisilles, près d’Arras (Pas-de-Calais) que le réseau des TGV a été saboté, coupant également le trafic ferroviaire international vers Londres, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. Dans l’Est, c’est en deux endroits distincts qu’il a été coupé : entre la gare de Meuse TGV et Lamorville (Meuse), ainsi qu’entre Pagny-sur-Moselle et Vandières (Meurthe-et-Moselle). A l’Ouest, c’est à Vald’Yerre, près de Courtalain (Eure-et-Loire) qu’il a été coupé, touchant aussi bien la direction vers la Bretagne (Rennes, etc.) que vers la Gironde (Bordeaux etc.). Et sur la ligne Sud-Est (Paris-Lyon-Marseille), c’est à Vertigny (Yonne) qu’a eu lieu une tentative de sabotage, qui aurait échoué après que les saboteurs aient été surpris « par des cheminots qui menaient des opérations d’entretien pendant la nuit », conduisant les gendarmes à mettre la main sur « des engins incendiaires » non-allumés et aussitôt expédiés au labo.

En outre, en banlieue parisienne concernant également le réseau Ouest, un caténaire a été arraché entre la gare Montparnasse et Vanves-Malakoff (Hauts-de-Seine) par un TGV qui a tenté de passer par une ligne plus classique et pas adaptée (la N du Transilien), en aggravant encore la conséquence du sabotage…  ce qui donne pour la SNCF un incident « en lien avec les actes de malveillance commis sur la ligne grande vitesse Atlantique ». Quant au fond, son PDG a déploré « la volonté évidente de couper Paris de ses principales lignes à grande vitesse juste avant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques », dans une conférence de presse tenue le samedi 27 juillet.

Au total, cette nuit d’été pré-olympique a donc été officiellement marquée par cinq sites visés en province, avec quatre sabotages réussis et un déjoué, entre 1h et 5h30 du matin. Avec à chaque fois des câbles de fibre optique sectionnés ou incendiés, qui se trouvaient dans de petites rigoles courant le long des voies, et situés non loin de postes d’aiguillages coordonnant des nœuds importants du trafic ferroviaire, là où les voies se séparent dans plusieurs directions. « Avec un [tel] incendie en fait, on prive à chaque fois deux branches du réseau», a expliqué le patron de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel (Le Figaro, 26/7). En effet, ces câbles désormais calcinés commandent les moteurs des aiguillages, mais servent également à la transmission des informations vers les postes de signalisation. « Dès que les câbles de signalisation ou de commande des aiguillages ont été endommagés, coupés ou brûlés, les installations se sont immédiatement mises en mode feu rouge, raconte Vincent Téton, directeur général adjoint opération et production chez SNCF Réseau, également en charge de la coordination gestion de crises. Les trains circulant sur les voies concernées se sont alors arrêtés automatiquement. » (Le Parisien, 27/7).

Pour procéder à leur réparation une fois ces câbles spéciaux coupés ou cramés, les techniciens doivent d’abord les remplacer en les faisant venir de sites parfois lointains (la SNCF possède « deux grands centres de stockage, l’un situé sur la façade atlantique, l’autre en région Grand-Est » nous informe Le Parisien), puis les câbliers doivent remettre en place la connectivité de façon fastidieuse, car « ces câbles comportent chacun des fils. Et par exemple si vous avez 50 câbles qui comportent chacun 10 fils, ça fait 500 fils qu’il faut reconnecter ensuite un par un », et à la fin ils doivent retester l’ensemble des relais électriques pour s’assurer de leur bon fonctionnement. Sur l’axe-nord saboté à Croisilles, ce sont ainsi une cinquantaine de câbles qui ont brûlé, affectant durement le poste d’aiguillage stratégique situé à cet endroit (PRCI : Poste relais à commande informatique), selon La Voix du Nord (26/7). Et sur l’axe-est saboté à Vandières, ce sont pas moins de six chambres de câbles qui ont été incendiées selon l’Est Républicain (26/7).

Le lieu visé sur le TGV Atlantique (La Dépêche, 26/7 : « Pourquoi les lieux visés par les sabotages n’ont pas été choisis au hasard »)
Le lieu visé sur le TGV Nord (source : idem)
Le lieu visé sur le TGV Est (source : idem)

Bref, ces coupures de chemins de câbles de fibre optique au bon endroit (le long des voies ferrées à proximité de bifurcation de lignes) et au bon moment (quelques heures avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques 2024), avec des moyens rudimentaires comme de l’essence, ont réussi à paralyser une bonne partie du réseau des TGV et à gâcher une fête olympique qui devait se dérouler sans accrocs.

Vendredi 26 et samedi 27 juillet, la SNCF a choisi de continuer à faire circuler des TGV, mais avec beaucoup de retards au départ comme à l’arrivée, puisqu’ils ont dû emprunter des lignes classiques et des déviations géographiques ou en roulant au pas, sans compter tous ceux qui ont été annulés. Comme ces « 25% des trains Eurostar entre Paris et Londres et Paris et Bruxelles » ; comme ces « 4 trains circulant avec des athlètes à bord » vendredi, et dont seuls les « deux premiers sont arrivés » à Paris en temps et en heure (le 3e a été retardé, et l’équipe d’athlètes présente sur le 4e a dû être transférée dans un autre train) ; ou comme les trains où voyageaient une partie des volontaires sélectionnés pour assurer le déroulement des JO mais aussi plusieurs milliers de spectateurs se rendant sur Paris, qui tous manqueront à l’appel lors de la cérémonie d’ouverture ou des premières épreuves.

Au total, ce sont 200 TGV qui ont tout bonnement été supprimés, sur les 750 qui devaient initialement circuler ce week-end, et les autres qui ont accumulé des milliers d’heures de retard. Le retour complet à la normale sur l’ensemble du réseau ferroviaire à grande vitesse n’est pas prévu avant lundi 29 juillet au matin.

Vald’Yerre (Eure-et-Loire), 26 juillet 2024. Les câbles de fibre optique incendiés lors du sabotage coordonné du réseau TGV.
idem, le grillage découpé à proximité…

Du côté de l’Etat français, c’est le parquet de Paris, et plus précisément la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) créée en son sein en 2020 pour traiter les dossiers les plus complexes, qui a annoncé s’être auto-saisie de l’enquête pour « l’ensemble des dégradations volontaires causées sur des sites SNCF ». Le parquet a ouvert une enquête pour des chefs de « détérioration de bien de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », « dégradations et tentatives de dégradations par moyen dangereux en bande organisée », « atteintes à un système de traitement automatisé de données en bande organisée » et « association de malfaiteurs en vue de commettre ces crimes et délits ». Puis il a co-chargé de l’enquête les directions générales de la police et de la gendarmerie, dont la sous-direction antiterroriste (SDAT) de cette dernière a été désignée comme service coordinateur des investigations. Dans chaque région où il y a eu un acte de sabotage, les sections de recherches (SR) de la gendarmerie gèrent localement le recueil d’indices, soit Lille, Dijon, Orléans et Nancy, sachant que les pandores ont claironné sur les radios d’Etat (France info & inter, 26/7) avoir mis « plus de 50 enquêteurs » sur cette affaire.

Enfin, les journaux rappellent que des sabotages similaires se sont produits ces dernières années en Allemagne (peut-être font-ils allusion au sabotage coordonné mené en septembre 2023 contre le trafic ferroviaire de marchandises à Hambourg ou à celui d’octobre 2022 qui avait paralysé le nord du pays), mais également en France, comme au début du mouvement contre la réforme des retraites en janvier 2023, où la LGV Est avait été attaquée à Vaires-sur-Marne, paralysant pendant deux jours la gare de l’Est à Paris. En tout cas, au vu du « mode opératoire » qui serait « typique de l’ultra-gauche » (France Bleu, 26/7), les 3000 individus fichés dans cette catégorie policière constitueraient une « piste privilégiée » des enquêteurs, selon ce qui a volontairement fuité dans les médias dès vendredi, Une thèse qui s’est en partie renforcée au lendemain des sabotages, samedi 27 juillet, avec l’arrivée du communiqué de revendication signé d’une « délégation inattendue ».

[Synthèse de la presse nationale, 26-27 juillet 2024]