Cellule Oracle et sabotages d’antennes

En Europe, l’ultragauche s’attaque aux antennes-relais
Journal du Dimanche, 1er juin 2020

Oracle : c’est le nom que la gendarmerie a choisi pour baptiser sa nouvelle cellule d’enquête. Pour la direction générale, le sujet est jugé très sensible. Tout juste accepte-t-on de confirmer son existence, très récente, et sa mission, superviser l’ensemble des enquêtes ouvertes concernant la mouvance d’extrême gauche : incendies de casernes ou de voitures de gendarmerie (Meylan, Limoges, etc.), de véhicules Enedis (cinq ont encore été brûlés samedi dernier à Bouguenais, en Loire-Atlantique) et bien sûr d’antennes-relais ; celle qui était visée, le week-end dernier, surplombait le cimetière d’Azille, dans l’Aude.

« Contre la 5G et le monde qui en a besoin! » Ce slogan conclut un texte relayé depuis février par des sites Internet liés à la mouvance « anarcho-libertaire ». Il détaille, liste d’ingrédients et conseils pratiques à l’appui, la « recette » pour détruire une antenne-relais. Il recommande ainsi le port de gants pour « limiter les traces ADN ».

S’ils ont bien lu la propagande, Daniel et Anthony, 58 et 39 ans, n’ont pas suivi à la lettre les mesures de prudence : leurs empreintes génétiques ont été retrouvées par les experts de la gendarmerie sur les restes des engins incendiaires qui ont partiellement détruit, dans la nuit du 14 au 15 avril, le relais planté au-dessus de la petite commune de Foncine-le-Haut (Jura). Au moins 20.000 euros de dégâts. Et, selon le maire, Gilbert Blondeau, « quelque 2.000 personnes privées de téléphone en plein confinement« .

Jusque-là, les deux amis, placés mercredi en détention provisoire en attendant leur jugement en juillet, étaient surtout connus à Foncine pour vendre « de bonnes pizzas ». Pour le maire, pas de doute, ils ont été « influencés par la fréquentation de gens de la mouvance ».

La main de l’ultragauche est en effet suspectée à chaque incendie d’antenne-relais. Le phénomène a démarré voilà trois ans ; bien avant toute polémique sur la 5G, qui n’est actuellement qu’en phase d’expérimentation dans une vingtaine de villes en France. Et la crise sanitaire a semble-t-il boosté les pyromanes : plus de 40 sites ont été visés depuis début mars. Certaines de ces attaques sont revendiquées, comme l’incendie mi-mai du pylône TDF de Jarrie (Isère), par de mystérieuses « chauves-souris transmettant le feu », sur un site radical grenoblois.

D’autres n’ont rien de politique : toujours dans l’Isère, c’est un chômeur porté sur la boisson qui aurait incendié par deux fois le relais téléphonique d’Estrablin. Mais les saboteurs d’antennes peuvent aussi avoir le profil de riverains opposés à l’érection d’un pylône près de chez eux, d’opposants aux ondes électromagnétiques, voire de complotistes adeptes de la théorie de propagation du coronavirus par les ondes, et particulièrement par la 5G.

La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) a dû se fendre en avril d’un communiqué pour démentir ces fake news qui ont pris des proportions inquiétantes en Europe. Selon la GSM Association (GSMA), qui regroupe les opérateurs de téléphonie mobile, depuis le début de la crise sanitaire, plus de 140 antennes-relais ont été incendiées dans dix pays européens, aux premiers rangs desquels le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France. Dans les deux premiers, plusieurs centaines d’employés ont déposé plainte pour harcèlement et menaces de mort.

Complotistes et extrémistes technophobes de droite (en Allemagne notamment) et de gauche (en France particulièrement) ont trouvé avec les antennes et la 5G des cibles faciles pour faire parler d’eux et déstabiliser les États. À Bruxelles, le sujet s’est d’ailleurs invité le 15 mai au menu du dernier comité de sécurité intérieure. Le coordinateur européen antiterroriste Gilles de Kerchove n’a pas caché son inquiétude.

Le réseau de fibre optique lui aussi visé

Le procureur de Grenoble a été l’un des premiers à plaider, sans succès pour l’instant, pour une qualification terroriste de ces attaques. Éric Vaillant s’appuie sur l’article 421-1 du Code pénal qui prévoit, argumente-t-il, « que les destructions, dégradations et détériorations constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur« .

D’autant que les réseaux de communication sont considérés comme des opérateurs d’importance vitale (OIV) selon la terminologie du Code de la défense. « Les auteurs des dégradations par incendie laissent peu de traces, ce qui montre qu’ils sont organisés« , ajoute le procureur Vaillant.

Le parquet de Paris vient de prendre la main sur une autre enquête hyper sensible conduite par la brigade criminelle. Cette fois, il n’est pas question d’antenne ou de 5G, mais d’opérations de sabotage multiples et concertées qui ont visé début mai le réseau de fibre optique, sectionné à la disqueuse dans plusieurs communes du Val-de-Marne, privant des dizaines de milliers de Franciliens de téléphone et de connexion Internet en pleine phase de télétravail. La complexité de l’opération entrant mal avec une simple vengeance professionnelle, la piste de l’ultragauche est clairement envisagée.