Biélorussie : des opposants à la guerre dans la bataille du rail

Au Bélarus, les opposants à la guerre en Ukraine engagent
la bataille du rail

Libération, 24 mars 2022 (extrait)

Dans le pays qui sert de base arrière à l’invasion russe de l’Ukraine, les actes de sabotage contre le réseau ferré se multiplient. La société, l’armée et même le régime rechignent à envoyer des soldats combattre aux côtés des Russes, mais la pression de Moscou augmente.

Le 19 mars, les liaisons ferroviaires entre le Bélarus et l’Ukraine se sont interrompues. Les voies qui mènent vers la frontière, depuis Brest, Louninets, Kalinkavitchy et Homiel, ont été mises hors d’usage par un groupe de « Bélarusses honnêtes », comme les a nommés le chef des chemins de fer ukrainiens. Le blocage aurait duré au moins jusqu’à lundi soir, peut-être davantage. Depuis les premiers jours de la guerre, et l’utilisation du Bélarus comme une base arrière et une rampe de lancement de missiles par les forces russes, un groupe de saboteurs s’attaque au réseau ferré.

Selon Bypol, une organisation qui regroupe d’anciens membres des forces de sécurité passés à l’opposition, le réseau s’attaque en priorité aux équipements de signalisation et d’automatisation des voies, faciles à endommager et coûteux à remplacer. Le 1er mars, deux armoires de commande auraient été incendiées près de Homiel, la grande ville du Sud-Est où transitent beaucoup de forces russes, et de Baranavitchy, où a été installé un centre commun d’ entraînement militaire russo-bélarusse . Le 15 mars, c’est près de Brest, à la frontière polonaise, et de Vitebsk, à la frontière russe, que ces armoires auraient été mises hors d’usage. « Il est en notre pouvoir d’agir pour arrêter la guerre et nous libérer de l’occupation des troupes russes. C’est notre devoir », affirme Bypol sur l’application de messagerie Telegram en appelant à la mobilisation. Chacun est invité à se porter volontaire pour des actions, via un chatbot.

Même marginales, ces actions ont une importance : la logistique militaire russe repose sur les chemins de fer et, depuis le début de la guerre, les troupes qui se dirigent vers la capitale ukrainienne sont largement ravitaillées via la ligne Homiel-Kyiv. Les munitions pour l’artillerie notamment arrivent par le rail. Avec le sabotage des connexions ferroviaires entre le Bélarus et l’Ukraine, c’est toute l’offensive sur Kyiv qui pourrait être compliquée. Des trains logistiques russes continuent à circuler au Bélarus, mais des précautions ont été prises pour les protéger : ils ne roulent plus la nuit et de plus en plus d’armes et de munitions seraient transportées dans des wagons de fret ordinaires pour ne pas attirer l’attention. « Les activistes essaient de bloquer ou de retarder les transports de matériel militaire, surtout dans les régions de Homiel et de Brest, où les troupes sont en mouvement », indique Pavel Latouchka, l’une des têtes d’affiche de l’opposition bélarusse

Arrestations

Signe de la préoccupation du régime, une enquête criminelle a été ouverte pour « actes de terrorisme en bande organisée » le 3 mars et des purges seraient en cours dans la compagnie ferroviaire nationale, selon des employés. Huit personnes ont aussi été arrêtées et accusées d’appartenir au réseau de sabotage. « La répression est dure, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un régime qui garde derrière les barreaux plus d’un millier de prisonniers politiques , mais le réseau veut continuer à agir. Ils ont des projets, comme bloquer la vitesse des trains à 10 km /heure », affirme Pavel Latouchka. A la fin du mois de février, un groupe de « cyber-partisans » avait déjà mené une attaque informatique de ce type, en bloquant tous les trains en mode manuel pour réduire leur vitesse et en plaçant tous les feux ferroviaires au rouge pour une heure et demie.

Pour ces groupes, comme pour l’opposition, l’enjeu est d’agir contre la guerre, mais aussi de lutter pour préserver la souveraineté nationale et éviter l’implication directe des troupes bélarusses dans les combats. Depuis le début de l’invasion, la pression de Moscou sur le régime de Loukachenko augmente. Ces derniers jours, les rumeurs sur l’entrée en guerre des soldats bélarusses se sont faites de plus en plus fortes, alimentées par les déclarations de l’état-major ukrainien et le départ des diplomates bélarusses d’Ukraine, suivi ce mercredi par l’expulsion des employés de l’ambassade ukrainienne au Bélarus.

La société bélarusse ne veut pas de cette guerre, qui ravage un pays où beaucoup d’exilés avaient trouvé refuge . Selon une enquête d’opinion du think tank Chatham House encore non publiée, 3 % des urbains seulement souhaitent que l’armée nationale se joigne à l’invasion russe. « L’attachement à la paix et à la stabilité est une valeur forte de la société bélarusse. L’hymne officiel du pays commence par “Nous, Bélarusses, sommes des gens pacifiques”. Le pouvoir s’est maintenu sur une promesse de stabilité et de prospérité. [Contrairement à la Russie], la Bélarus n’a pas de “grandeur” à retrouver », analyse sur Twitter Anna Colin-Lebedev, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre. L’armée, dégarnie, mal équipée et démotivée , rechigne à aller au combat. « D’après nos informations, les militaires n’étaient pas prêts à entrer en guerre quand l’invasion a débuté. Un mois plus tard, alors que tout le monde a pris conscience de la résistance ukrainienne , ils sont encore plus hostiles à cette idée », précise Pavel Latouchka.


Guerre en Ukraine: des saboteurs pourraient paralyser le principal allié de Poutine
Die Welt (Allemagne), 25 mars 2022 (extrait)

En janvier dernier, afin d’interrompre le déplacement des troupes russes vers la frontière ukrainienne, le collectif de hackers « Cyber Partisans » avait déjà lancé des attaques informatiques à même de perturber système ferroviaire biélorusse. Ils profitent ici d’une faiblesse logistique des armées russe et biélorusse, qui ne disposent pas de suffisamment de remorques surbaissées pour transporter du matériel militaire lourd par la route.

Pour déplacer son matériel, qu’il s’agisse de lance-roquettes ou d’autres équipements lourds, l’armée dépend fortement des trains, a déclaré la porte-parole des Cyber Partisans, Juliana Schemetowets, au magazine économique « Fast Company ». « Les gens sont habitués à tout faire avec des ordinateurs et d’autres systèmes. Alors maintenant qu’ils doivent à nouveau tout faire sur papier, beaucoup ne savent plus comment s’y prendre. »

Depuis le début de la guerre, les actes de sabotage contre le système ferroviaire biélorusse se sont nettement intensifiés. Il s’agit non seulement de cyberattaques, mais aussi d’attaques physiques, qui sont probablement aussi le fait d’employés des chemins de fer biélorusses.

Ainsi, le chef des chemins de fer publics ukrainiens, Oleksandr Kamyshin, a confirmé dimanche que la liaison ferroviaire entre son pays et la Biélorussie était interrompue et a fait l’éloge des employés des chemins de fer biélorusses dans une interview accordée à « Radio Free Europe ». « Je pense qu’il y a encore des gens honnêtes parmi les Biélorusses, et en particulier parmi les cheminots », a déclaré Oleksandr Kamyshin. « Je ne les trahirai pas. Mais je leur suis reconnaissant de ce qui se passe aujourd’hui. »

L’interruption des liaisons ferroviaires depuis la Biélorussie pose un problème considérable pour l’approvisionnement des troupes russes stationnées à Kiev, qui subissent ces jours-ci une énorme pression dans le nord-ouest de la capitale et risquent de se retrouver encerclées par les troupes ukrainiennes.

Lundi, le conseiller de Svetlana Tikhanovskaïa [une des leader démocrate de l’opposition biélorusse], Franak Viačorka, a fièrement publié sur Twitter une carte sur laquelle sont répertoriées les actions de sabotage organisées dans toute la Biélorussie depuis le début de la guerre. Mais c’est une autre question de savoir si les actes de sabotage et la réticence de l’armée biélorusse conduiront effectivement Loukachenko à renoncer à l’émission d’un ordre d’attaque.


Biélorussie- Succès dans la guerre des chemins de fer
traduit de l’anglais de a2day (site russe), 26 mars 2022

Il n’y a plus de communication ferroviaire entre la Biélorussie et l’Ukraine, a déclaré le 19.03.22 le responsable d’Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien, UZ], Oleksandr Kamyshyn. Selon lui, « il faut en remercier les honnêtes cheminots biélorusses », mais il n’a pas donné plus de détails.

« Je crois qu’il y a encore des gens honnêtes parmi les Biélorusses, et surtout parmi les cheminots biélorusses, et je ne voudrais pas les rendre responsables de ce qui se passe aujourd’hui […] Je suis sûr que les gens honnêtes de cette organisation seront capables d’arrêter le travail des chemins de fer biélorusses lié au transport d’échelons militaires vers l’Ukraine » a ajouté le chef du conseil d’administration de l’UZ. Le responsable du chemin de fer a refusé de préciser à partir de quelle date il n’y a pas de telle communication, mais a confirmé que les voies ferrées sont inutilisables.

Un conseiller du bureau du président ukrainien, Arestovich, a déclaré que l’arrêt du trafic ferroviaire à travers le Belarus était important pour l’Ukraine. Le 17 mars, il a appelé à une « guerre ferroviaire totale » contre l’ennemi dans les territoires occupés :

« La perturbation de l’approvisionnement de l’ennemi par le rail (et ce type d’approvisionnement est le plus efficace) peut changer radicalement la situation en notre faveur, notamment dans la direction Crimée – Melitopol. L’ennemi approvisionne le groupe qui prend d’assaut Marioupol par cette voie », a souligné Arestovich.

Arestovich s’est également adressé aux Biélorusses :

« D’ailleurs, ces fournitures pourraient provenir de la Biélorussie elle-même. Ce n’est pas pour rien que les trains électriques y ont été repeints… Alors frères Biélorusses, si vous êtes contre cette guerre, faites ce que vous avez fait de mieux – la guérilla ferroviaire. Et en Biélorussie même, je le souligne, uniquement sur les routes des troupes russes. »

La guérilla ferroviaire se porte vraiment bien pour la résistance biélorusse. L’illustration ci-dessus montre les sabotages sur les chemins de fer du Bélarus uniquement pour 2022. Les Biélorusses mènent depuis longtemps avec succès de tels sabotages afin de déstabiliser le régime biélorusse et de causer des dommages économiques, sans aucun appel de l’Ukraine – ils ralentissent les trains en bloquant le travail des feux de signalisation avec du fil tendu [entre deux rails], incendient les transformateurs électriques, organisent des cyberattaques, désactivent le système de contrôle et la vente de billets. Et, bien sûr, aider à porter un coup contre l’armée russe et empêcher la Biélorussie d’être entraînée dans une guerre agressive honteuse est certainement une tâche louable.

Borisov, 25 mars 2022

Dans la nuit du 25 mars 2022, près de Borisov (Biélorussie), deux boîtes de relais de SCB (dispositifs de signalisation, de centralisation et de verrouillage) ont été brûlées d’un coup. Les deux armoires (sens pair et impair) ont été brûlées après minuit sur la ligne ferroviaire de Borisov-Novosady (branche de Minsk du BelZhD).

Le KGB biélorusse a déjà déclaré qu’il ne peut pas garantir la sécurité du mouvement des troupes russes sur les chemins de fer biélorusses, en contrôlant leur feuille de route, la correspondance avec la Direction des communications militaires de Biélorussie et de la Russie et d’autres documents.

À cet égard, le KGB va mener une nouvelle opération de purge au sein du chemin de fer. Il est rapporté que les employés de l’Administration, des branches et des subdivisions sont forcés de signer un papier comprenant des menaces d’endosser une responsabilité pénale pour avoir participé à la guerre du rail ou l’avoir appelée de ses vœux.

Nous espérons qu’il existe aussi des gens courageux en Russie. Le sabotage des chemins de fer est une chose pratique, qui peut être faite par n’importe qui, par un petit groupe ou par une seule personne. À long terme, il peut également être utilisé pour empêcher le déplacement des forces de répression à l’intérieur du pays. En même temps, il faut garder à l’esprit la sécurité. En dehors des choses évidentes, n’oubliez pas que de nombreuses sections du chemin de fer sont sous surveillance vidéo, surtout en Russie (par exemple, le chemin de fer Moscou-Saint-Pétersbourg est sous surveillance vidéo dans sa totalité). Évaluez d’où peuvent venir les méchants et à quelle vitesse, pensez aux voies secondaires.