Italie : une lettre d’Alfredo Cospito

[Cette lettre d’Alfredo Cospito (écrite en janvier alors qu’il se trouvait encore à la prison de Sassari) a été rendue publique le 1er mars 2023 par son avocat lors d’une conférence de presse au Sénat, et reproduite ensuite par différents journaux italiens. Nous en livrons ici une traduction.
Par ailleurs, suite à la décision du 24 février de la Cour de cassation italienne de ne pas le sortir du 41bis, Alfredo a refusé de continuer à prendre des compléments alimentaires de base (comme le potassium), et au 131e jour de grève de la faim, le 27 février, a été retransféré d’urgence de la prison d’Opera à l’unité de soins intensifs de l’hôpital San Paolo de Milan…]


Ma lutte contre le 41 bis est une lutte individuelle en tant qu’anarchiste, je ne fais pas de chantage et n’en accepte pas. Tout simplement, je ne peux pas vivre dans un régime [carcéral] inhumain comme le 41bis, où je ne peux lire librement ce que je veux : livres, journaux, publications anarchistes, revues d’art, scientifiques, de littérature et d’histoire.

L’unique possibilité que j’aie de sortir d’ici est de renier mon anarchie et de me vendre pour qu’on mette quelqu’un d’autre à ma place. Un régime où je ne peux avoir aucun contact humain, où je ne peux plus voir ou caresser un brin d’herbe ou enlacer un être cher. Un régime où les photos de tes parents sont confisquées. Enterré vivant dans une tombe, dans un lieu de mort. Je poursuivrai ma lutte jusqu’aux plus extrêmes conséquences, non par « chantage », mais parce que ceci n’est pas une vie. Si l’objectif de l’État italien est de me faire me « dissocier » des actions des anarchistEs à l’extérieur, qu’il sache que moi je n’accepte pas les chantages. En bon anarchiste, je pense que chacun est responsable de ses propres actions, et appartenant au courant anti-organisationnel, je ne me suis jamais « associé » à quiconque et je ne peux donc pas me « dissocier » de quiconque. L’affinité, c’est autre chose.

Un.e anarchiste cohérent.e ne prend pas ses distances d’autres anarchistes par opportunisme ou convenance. J’ai toujours revendiqué avec fierté mes actions (y compris devant les tribunaux, c’est pourquoi je me retrouve ici) et je n’ai jamais critiqué celles des autres compagnon.nes, et par conséquent encore moins dans la situation où je me retrouve.

La plus grande insulte pour un.e anarchiste est d’être accusé.e de donner ou de recevoir des ordres. Quand j’étais dans le régime de Haute Surveillance, j’étais de toute manière soumis à la censure, et je n’ai donc jamais envoyé de « pizzini » [billets codés utilisés par la mafia pour donner des ordres depuis l’intérieur], mais des articles pour des journaux et des revues anarchistes. Et surtout, j’étais libre de recevoir des livres et des revues et d’écrire des livres, de lire ce que je voulais, en somme il m’était permis d’évoluer, de vivre.

Aujourd’hui, je suis prêt à mourir pour faire connaître au monde ce qu’est vraiment le 41bis, 750 personnes le subissent en silence, monstrifiées en permanence par les mass-médias.

A présent c’est mon tour, vous m’avez d’abord présenté comme un monstre sous forme de terroriste sanguinaire, puis vous m’avez sanctifié sous forme d’anarchiste martyr qui se sacrifie pour les autres, et maintenant monstrifié une nouvelle fois comme chef du terrible « spectre ». Quand tout cela sera terminé, je n’en doute pas, je serai à nouveau porté sur les autels du martyre. Non merci, ce sera sans moi, je ne me prête pas à vos petits jeux politiques dégueulasses.

En réalité, le vrai problème de l’État italien est qu’on ne vienne pas à connaître tous les droits humains qui sont violés dans ce régime carcéral, le 41bis, au nom d’une « sécurité » pour laquelle tout est sacrifié. Eh bien ! Vous auriez dû y penser avant de mettre un anarchiste là-dedans, même si j’ignore les motivations réelles ou les manœuvres politiques qu’il y a derrière. Le pourquoi quelqu’un m’a utilisé comme « boulette empoisonnée » dans ce régime. Il n’était pas bien difficile de prévoir quelles seraient mes réactions face à cette « non-vie ». Un État comme l’État italien, digne représentant d’une hypocrisie d’un Occident qui n’arrête pas de donner des leçons de « morale » au reste du monde. Le 41bis a donné des leçons répressives bien comprises par des États « démocratiques » comme celui de Turquie (les camarades kurdes en savent quelque chose) ou de Pologne.

Je suis convaincu que ma mort constituera une entrave à ce régime et que les 750 personnes qui le subissent depuis des décennies pourraient vivre une vie digne d’être vécue, quoi qu’elles aient fait.

J’aime la vie, je suis un homme heureux, je ne voudrais échanger ma vie avec celle de personne d’autre. Et c’est justement parce que je l’aime, que je ne peux accepter cette non-vie sans espoir.

Merci compagnon.nes pour votre amour
Toujours pour l’anarchie
Jamais brisé

Alfredo Cospito