Belgique : les poukaves s’en donnent à cœur joie

Covid-19: l’âge d’or de la délation
7/7 (Belgique), 22 décembre 2020

Le porte-parole de la police de Charleroi l’a confirmé ce lundi à la RTBF, les dénonciations s’enchaînent à un rythme effréné depuis le début de la pandémie: “C’est une horreur, on en reçoit des dizaines par jour”, confie David Quinaux. “Ça n’arrête pas, les gens dénoncent tout et n’importe quoi”, ajoute-t-il.

Courriers anonymes, appels au commissariat, les fêtards, les dîners de famille élargis, les coiffeurs et autres activités “clandestines” sont régulièrement dénoncés, par peur de la propagation du virus, voire par simple jalousie face au non-respect des consignes.
À Bruxelles, la plupart des interventions font suite à une dénonciation. Mais, à l’autre bout du pays, dans la province du Luxembourg, le constat est le même et les gîtes sont régulièrement la cible des voisins frustrés de voir débarquer dans leur village une fête de famille illégale…



Coronavirus, restrictions et dénonciations: « On reçoit même des courriers anonymes réalisés avec lettres découpées dans les journaux »

RTBF, 21 décembre 2020

« C’est une horreur, on en reçoit des dizaines par jour ». Au bout du téléphone, David Quinaux, porte-parole de la zone de police de Charleroi confie son étonnement et son désarroi. Depuis le premier confinement et les premières mesures sanitaires liées au coronavirus, au printemps 2020, le commissariat doit gérer une quantité invraisemblable de dénonciations : « Depuis le mois de mars, cela n’arrête pas. Les gens dénoncent tout et n’importe quoi. On reçoit même des courriers anonymes réalisés avec lettres découpées dans les journaux et collées sur une feuille de papier. C’est du genre : dans le studio du troisième étage, à côté de l’appartement d’une cousine, il y a une dame qui coiffe. Si en 40, on avait dénoncé comme ça, il ne resterait plus beaucoup de coiffeurs aujourd’hui ! ».

Manifestement, la police de Charleroi n’est pas la seule à recevoir cet afflux de coups de téléphone ou de courriers dénonçant un voisin, une connaissance. Petit tour non exhaustif de quelques commissariats de Bruxelles et de Wallonie. L’intervention de police du vendredi 18 décembre au soir, dans une maison de Waterloo, où une dizaine de personnes faisaient la fête, intervention qui a mal tourné, a été déclenchée suite à la dénonciation d’un voisin.

A Waterloo comme dans la plupart des zones de police, la délation va bon train. « On a beaucoup plus d’appels que d’habitude, nous dit Ludo Corvilain, porte-parole de la zone de police de Waterloo, et ce ne sont pas pour les incivilités habituelles. Les gens ont peur du Covid, donc, quand ils constatent que leurs voisins ne respectent pas les consignes, ils nous préviennent. La jalousie peut être un moteur aussi. Ils se disent : moi je respecte les mesures sanitaires à la lettre, alors pourquoi lui, il aurait le droit de faire la fête ? Il y a aussi ceux qui appellent par sens civique. Le contrôle social est plus fort en cette période de pandémie ».

Il n’y aura pas de chasse aux sorcières à Waterloo, précise Ludo Corvilain. « On ne va pas s’amuser à faire des rondes pour surveiller les habitants ».

Dans la zone de police Bruxelles-Capitale – Ixelles, même constat. « Nous n’avons pas de statistiques sur les dénonciations, explique Olivier Slosse, son porte-parole, mais avec le Covid, les gens sont sous pression. Il y a plus de réactions émotionnelles. Quand il y a du bruit la nuit chez les voisins, ils appellent la police, même en temps normal. Mais en période de pandémie, les gens attendent plus de la police ».

Et c’est bien souvent le tapage nocturne qui est à l’origine des signalements. Le 27 novembre, à deux pas de la Grand-Place, excédés par le bruit, des habitants appellent la centrale. Au premier étage d’un petit immeuble, au-dessus d’un bar gay, une vingtaine d’hommes participent à une partie fine, une « lockdown partouze », titreront les journaux. L’un des invités est le député européen hongrois Jozsef Szajer. Il tentera de s’enfuir. « Ce qui est le plus étrange, c’est la façon dont les gens, pris en infraction, essayent de se cacher, dans un placard, dans une baignoire, sur le toit, dans un appartement voisin… », raconte Olivier Slosse.

A Bruxelles, la plupart des descentes de police dans les lockdown parties font suite à une dénonciation. Idem pour les plus petits regroupements.  » Nous intervenons aussi pour des rassemblements de cinq personnes. Avec la consommation d’alcool et le bruit qui en découle, ces réunions festives se remarquent « .

Comme toujours, mais peut-être un peu plus souvent ces temps-ci, la police de Bruxelles-Capitale reçoit des courriers du genre : « Vous devriez aller voir à cette adresse… « . Les dénonciations pour des métiers de contact exercés dans la clandestinité ? Ce n’est pas le fait le plus marquant. Mais ce qui est certain, c’est que ce deuxième confinement est beaucoup moins calme que le premier. « Pendant les mois de mars et avril, les gens étaient un peu tétanisés, explique Olivier Slosse. Ils avaient très peur de contracter le virus. Cette fois-ci c’est différent. Je ne sais pas si c’est par habitude ou par lassitude, mais la population est moins prête à respecter les mesures sanitaires. A la rue Neuve ou à la Grand-Place, si nos stewards n’intervenaient pas, les gens seraient les uns contre les autres ».

Toutes les dénonciations ne donnent pas suite à intervention policière. « Nous faisons un tri. Nous agissons selon le principe de proportionnalité, nous dit David Quinaux, de la police de Charleroi, quand il y a des nuisances, on vérifie. Quand dans un petit studio prévu pour une personne, on entend les voix d’une dizaine de personnes, alors on verbalise. Pas plus tard que ce week-end, nous avons constaté une fête de six personnes, six jeunes dans un appartement. Ils ont eu chacun une amende de 250 euros ».

A la campagne aussi, on dénonce

Dans la zone rurale de Libramont, la police est habituée aux conflits de voisinage. Mais depuis que le virus est entré chez nous, avec ses deux confinements, il y a plus d’appels. Combien ? « C’est difficile à quantifier, nous dit un inspecteur de police qui préfère rester anonyme, ça dépend des jours. Ce week-end, nous avons quatre appels. Ce sont souvent des voisins qui nous disent qu’il y a une fête de famille avec trop de monde, ou des personnes qui habitent près d’un gîte, où là aussi il y a du monde. Avec la fin de l’année, cela ne va pas s’arrêter, je pense que nous allons avoir de plus en plus d’appels ».

A la police de Libramont, il y a du travail, beaucoup de travail depuis le Covid. « On n’arrête pas, ajoute cet inspecteur, on a trois patrouilles en permanence par jour et elles ne chôment pas. Beaucoup de gens dénoncent parce qu’ils sont frustrés quand ils voient ce que les autres se permettent. Les relations avec les citoyens sont aussi beaucoup plus tendues. D’un côté, il y a les gens qui dénoncent, de l’autre, il y a ceux qui nous disent lors des contrôles : vous n’avez rien d’autre à faire ? ».

Qu’est-ce qui pousse les délateurs à agir ? Selon les quelques témoignages reçus dans les commissariats, cela va de l’envie d’emm… son voisin à l’inquiétude face à cette seconde vague que l’on a du mal à maîtriser. Il y a les dénonciateurs et les dénoncés. En général, quand ils sont verbalisés, ils le prennent avec fatalisme. Ils connaissent les risques, alors, ils acceptent de payer l’amende. Quand la police intervient dans des fêtes plus importantes, c’est plus délicat. La plupart du temps, les fêtards sont alcoolisés ou ils ont pris des drogues. Dans ce cas de figure, cela peut très rapidement mal tourner. Un mot, un geste déplacé. Avec à la clé le risque que cela dérape.


Dénoncer les partys de Noël, « c’est la chose à faire », dit Plante [la maire de Montréal]
La Presse (Canada), 16 décembre 2020

En conférence de presse à l’hôtel de ville, la mairesse a indiqué qu’elle comptait sur ses concitoyens pour obéir aux règles sanitaires, mais que les récalcitrants devaient être dénoncés. « Écoutez, je pense que si on voit plusieurs personnes qui rentrent dans une résidence, c’est la chose à faire » d’appeler la police, a-t-elle dit, d’un ton hésitant. « Mais en même temps, il faut comprendre que le SPVM y va en ordre de priorité d’appel, donc ce n’est pas ce qui va garantir que d’un coup, un policier va débarquer à la maison. » Mme Plante a souligné que la métropole était l’épicentre de la première vague de la COVID-19 et que des centaines de Montréalais ont perdu la vie à cause de la pandémie.

Valérie Plante participait à une conférence de presse avec Sylvain Caron, le chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), concernant le lancement d’une nouvelle escouade contre le trafic d’armes à feu. Le chef Caron a indiqué que ses policiers seraient prêts à intervenir les 24 et 25 décembre. « On a du personnel suffisant pour répondre à l’ensemble des appels sur le territoire », a dit M. Caron, ajoutant qu’« il y a des gens qui sont prévus, un certain groupe » spécifiquement pour les appels liés à la COVID-19.


En Suisse romande, policiers et familles se préparent au “Noël de la délation”
Courrier international, 22 décembre 2020

“La police ne s’amusera pas d’elle-même à compter les convives autour de la dinde. Mais en cas de dénonciation, elle interviendra”, avertit la Tribune de Genève, alors que le nombre de convives autorisés au réveillon est de dix, en raison de la pandémie.

“Au Noël de la délation, il y aura des prunes sous le sapin”, grinçait ce 19 décembre la Tribune de Genève. À l’approche d’un réveillon de Noël pas comme les autres, le quotidien suisse francophone s’est intéressé à la façon dont les familles genevoises d’une part, et la police d’autre part, anticipaient une soirée de Noël soumise à des restrictions : la “limite” du nombre de convives autorisés a en effet été “fixée à dix par le Conseil fédéral”.

Une règle qui provoque “la crainte des familles nombreuses”, voire : « La trouille, même. Au téléphone, plusieurs d’entre elles évoquent leurs stratégies pour éviter de se faire dénoncer à la police : parquer [se garer] à distance respectable, entrer par la porte arrière ou encore éviter le fumoir au balcon. Mais aucune n’a souhaité apparaître dans le journal, sous quelle forme que ce soit. C’est dire.”

L’omerta plane donc dans les foyers.