Lamia (Grèce) : une lettre de Giannis Michailidis, depuis la cellule spéciale de l’hôpital

Une lettre de la cellule spéciale de l’hôpital de Lamia
– Giannis Michailidis (Grèce)

Anarchist Bure Cross, 13 juillet 2022

Le texte ci-dessous, traduit de l’anglais, a été écrit par l’anarchiste grec Giannis Michailidis il y a deux jours, le 11 juillet, au 51ème jour de sa grève de la faim. On pourra lire un bref résumé de son histoire ainsi que sa déclaration initiale d’annonce de grève la faim ici en français, et des nouvelles actualisées régulièrement de sa situation ici en anglais. Hier, la date de la prochaine séance qui doit décider de sa possible libération a été fixée au 25 juillet.


Le scorpion est un insecte qui diffère peu de ses espèces ancestrales, qui ont été parmi les premiers animaux terrestres, il y a des centaines de millions d’années. Il a été observé que les individus de cette espèce, lorsqu’ils sont piégés au milieu des flammes sans échappatoire visible, font une chose remarquable : ils retournent leur aiguillon contre eux et se suicident ! Un comportement qui n’offre aucun avantage sur le plan de l’évolution, puisque, avec l’infime chance que le feu s’éteigne, les animaux survivants pourraient continuer à se reproduire. Un comportement qui contredit la théorie selon laquelle les insectes sont des robots biologiques car ils présentent des comportements standardisés.

La façon la plus simple dont je peux expliquer ce comportement est que l’évolution de la vie ne construit pas des robots, mais crée des systèmes neuronaux pour le traitement de l’information et la prise de décision. Des modèles comportementaux récurrents émergent du fonctionnement complexe de circuits neuronaux auto-organisés, qui, dans la plupart des cas, favorisent effectivement un potentiel reproductif maximal. Ainsi donc, ces minuscules systèmes nerveux dotés de plusieurs ordres de grandeur de synapses neuronales de moins que notre cerveau produisent un comportement qui trahit les preuves de leur fonctionnement interne :

  1. Ces animaux ressentent la douleur, c’est-à-dire la douleur comme un stimulus que l’animal tente d’éliminer.
  2. Ces animaux ressentent la peur, c’est-à-dire la peur comme une projection mentale interne d’une situation future.
  3. Ils savent qu’ils possèdent un outil meurtrier avec lequel ils tuent leurs proies et se défendent de leurs prédateurs : le dard.
  4. Ils associent la sensation de douleur à leur corps lorsqu’ils pointent le dard sur eux.
  5. L’association de la douleur à la conscience de soi, puisque la douleur est une forme élémentaire d’état mental, et que la conscience est pensée sur pensée, constitue une forme primitive de conscience. La douleur est donc, en un sens, consciente.

Puisque l’anthropocentrisme de la majorité de notre société attribue les attributs mentaux ci-dessus exclusivement aux humains, on m’accusera probablement d’anthropomorphisme (vous me direz, de tout ce dont on vous a accusé, est-ce que ça vous a dérangé ?). Cependant, je n’attribue pas aux scorpions des caractéristiques qui ne sont pas déduites de leur comportement, comme la pensée rationnelle. Il est encourageant de constater que des recherches neuroscientifiques plus récentes suggèrent que l’architecture des circuits neuronaux associés à la fonction de conscience chez l’humain et les autres mammifères est détectable même dans le cerveau des insectes.

Quel est le rapport avec la situation actuelle ? Quelques centaines de millions d’années après l’apparition des scorpions, un être a marché sur la terre et a construit des structures de captivité permanentes pour les autres êtres vivants, y compris pour sa propre espèce : des cages et des gardiens.

De nombreux animaux intelligents en captivité cessent de manger et sont poussés à la mort (par exemple, parmi les dauphins capturés, peu survivent). D’innombrables personnes en captivité (depuis si longtemps que les origines en ont été oubliées), ont fait des grèves de la faim dans les prisons pour gagner leur liberté ou leur dignité. C’est l’équivalent d’un auto-centrage de la part d’êtres suffisamment intelligents pour tenter de trouver une issue à l’impasse. C’est pourquoi, de nos jours, la grève de la faim est internationalement reconnue comme un moyen de lutte historiquement puissant, notamment pour les prisonnièr·e·s.

Dans les circonstances grecques (où même la junte des colonels a reculé devant les grèves de la faim), les juges et procureurs modernes sont habités par une perspective différente. La majorité d’entre eux sont animés par des vues ultra-conservatrices et, après avoir causé une douleur indicible à des dizaines de milliers de prisonnièr·e·s qui ont été privé·e·s de leur liberté à long terme, ils travaillent pour une industrie de la torture retranchée derrière des mensonges évidents tels que le correctionnalisme. Comme des ouvriers d’abattoir, ou comme des pilotes de chasse bombardant les villes ennemies, ils ont tué en eux toute trace d’empathie et peuvent prendre leur déjeuner en se convainquant qu’ils font quelque chose d’utile. C’est pourquoi ils considèrent la grève de la faim comme un moyen de contester leur omnipotence et font preuve d’une tolérance zéro.

Comment interpréter autrement ce que les juges et les procureurs écrivent, jusqu’au 46ème jour de ma grève de la faim, lorsque la proposition du procureur de la cour d’appel pour ma libération a été émise ?

J’ai auparavant subi deux séances lors desquelles j’ai été jugé pour ce que les juges pensent que je ferai et j’ai été gardé en détention parce que je « risquais de commettre d’autres infractions ». Lors de la seconde, même eux ne m’ont pas posé une seule question, pas même sur les faits et ils ont juste émis une décision prédéterminée après 40 jours (dont 30 déjà en grève de la faim). Sans même une justification, il leur a fallu 40 jours pour écrire « conformément à la proposition du procureur, pour éviter toute répétition inutile ». J’ai été traité avec une indifférence provocante.

Face à cette misère, j’ai entamé une grève de la faim. Et dans l’annonce de son commencement, j’ai énuméré à la fois les actes arbitraires à mon encontre et les nombreux exemples où les juges ont ouvert grand les portes lorsqu’il s’agissait des enfants du système (flics – assassins, gardiens de prison – tortionnaires, fascistes, grands capitalistes).

Pendant ce temps, au milieu de ma grève, le tueur d’Alexandros, l’un des tueurs de Zack qui a passé autant de jours en prison que moi de jours en grève de la faim, et le violeur Filippidis ont été libérés par anticipation au motif improbable que les victimes potentielles ne risquent rien car il est maintenant connu pour ses actes et qu’elles l’éviteront. Et moi qui ai accompli les 3/5 de ma peine il y a 7 mois, « je n’ai pas encore été réhabilité car il ne s’est pas écoulé assez de temps » selon le raisonnement du ministère public ! Des meurtriers impénitents profitent de ce pour quoi je me suis battu pendant 50 jours au péril de ma vie, de ce à quoi j’ai droit depuis 7 mois, la liberté.

Le meurtre du chimpanzé qui s’est échappé de la prison pour animaux sauvages de Jean-Jacques Leshwar n’a apparemment aucun rapport avec cette affaire, mais il est pourtant pertinent. Je me demande si la « justice » grecque s’occupera d’un tueur en série et tortionnaire d’animaux sauvages ? Trop d’argent…

Quoi qu’il en soit, en ce moment, mon propre dard a déjà percé mon corps et répand du poison détruisant ses organes vitaux, probablement de manière irréversible. Mais il percera inévitablement, ne serait-ce que temporairement, l’ordre meurtrier qui soutient ce système d’asservissement et d’exploitation généralisée de la nature (humaine et autre)…

LA SEULE LUTTE PERDUE EST CELLE QUI N’EST JAMAIS MENÉE

LA LIBERTÉ OU LA MORT

11/7/2022,

Giannis Michailidis