Toulouse (Haute-Garonne) : Trashage de Latécoère, industrie de mort

IAATA, 12 octobre 2024

Dans la nuit du 8 octobre, le siège social de Latécoère à Toulouse (Quartier Roseraie) a vu ses vitres étoilées et sa façade maculée de peinture rouge. Avec un gros tag « Fabrik de mort ».

Dans le vieux cimetière de Ramonville, la tombe de Pierre-Georges Latécoère, fondateur de l’entreprise, a aussi été tachée à la peinture rouge et tagguée « Assassin » et « Vendeur de mort ».

Ces actions symboliques répondent à l’appel « à agir contre le militarisme et le nationalisme » issu du salon du livre anarchiste des Balkans 2024 (on met le texte à la fin de cet article).

Pour les raisons qui nous ont fait viser cette entreprise, on peut lire ce texte.


Communiqué final du Salon du livre anarchiste des Balkans 2024 : Invitation à agir contre le militarisme et le nationalisme (1-10 octobre 2024)

Nous appelons à des journées d’action transnationales contre le militarisme et le nationalisme au cours de la première semaine d’octobre (1-10 octobre 2024). Au cours de cette période, nous invitons chacun·e, dans sa propre localité et à sa manière, à organiser des actions contre les conditions de la guerre : nationalisme, militarisme, patriarcat, politique d’exclusion, etc. Nous appelons à des actions contre l’industrie de l’armement et le transport d’armes, contre tous les appareils militaires nationaux, les coalitions militaires multinationales, et la militarisation croissante de nos sociétés.

Du 5 au 7 juillet, Pristina, Kosovo, s’est transformée en une plaque tournante de la pensée, de la coordination et de la solidarité anarchistes alors qu’elle hébergeait la 16ème édition du Salon du livre anarchiste des Balkans (BAB [ou Balkan Anarchist Bookfair]). Ce tout premier rassemblement anarchiste dans une localité albanophone a réuni plus de 250 participant·e·s de 29 pays, du Chili à l’Azerbaïdjan. Au total, 32 collectifs et initiatives ont montré des livres et des zines, et 18 discussions et événements ont été organisés, présentant la diversité globale du mouvement. Dans le véritable esprit du collectivisme et de l’entraide, les participant·e·s se sont engagé·e·s dans l’organisation, faisant de cet événement une démonstration remarquable de ce qui peut être réalisé grâce à l’effort collectif.

Avoir un tel événement à Pristina est d’une importance particulière. Depuis la fin de la guerre, le Kosovo est resté pris au piège dans un état de conflit perpétuel, conduisant à une atmosphère persistante de tension entre l’État de Kosovo et la Serbie. Les élites des deux côtés ont fortement capitalisé sur cette situation, assurant et prospérant en division parmi les sociétés. Le simple fait que les compagnon·ne·s de partout dans les Balkans, y compris le Kosovo et la Serbie, se tenaient côte à côte, dénonçant le nationalisme et la politique d’État, est un puissant témoignage de notre engagement collectif à la solidarité, la résistance et la collaboration à travers les frontières artificielles et la politique étatique qui vise à nous diviser.

L’urgence de ce rassemblement ne peut être surestimée. À une époque où les feux de la guerre ravagent le monde et le spectre du fascisme manifeste se propage, les États deviennent de plus en plus militarisés et la répression est toujours croissante. Au cours du BAB, nous avons partagé les expériences de nos localités et analysé comment les États balkans accélèrent leur rhétorique nationaliste tout en amassant simultanément des armes et en initiant des débats pour réintégrer le service militaire obligatoire. Ces actions alimentent les récits des un·e·s et des autres, qui sont utilisés comme justification de ces dernières et instillent la peur au sein des sociétés. Nous trouvons impératif que les habitant·e·s des Balkans, et au-delà, en tant que collectifs et individus anarchistes, approfondissent la coordination et renforcent les réseaux de résistance contre la résurgence du nationalisme et du militarisme. Ne pas le faire conduira inévitablement à la guerre.

La guerre est une partie intrinsèque du système capitaliste. Qu’elle soit de faible intensité ou pleine et entière, elle sert d’outil important pour l’expansion du capitalisme en ouvrant de nouvelles sources d’exploitation, telles que la terre, la mer, les minéraux, tous·te·s les êtres vivant·e·s ; ou la production et la vente d’armes comme capital. Nous ne tombons pas dans le piège de considérer qu’un conflit est binaire entre États-nations, bien que nous acceptions ses nuances et ses contextes de la façon dont ils se produisent : nous le voyons comme une guerre du capital contre les sociétés. Guerres en Ukraine, Soudan, Syrie, Myanmar, Afrique subsaharienne, guerres des cartels au Mexique et d’autres partagent toutes la même logique de domination et d’expansion du capital, qui n’apporte que la mort et la destruction.

Nous reconnaissons que les États des Balkans ne sont pas de simples spectateurs de la ligne de touche au spectacle de la guerre mais en sont une partie intrinsèque : l’accueil d’installations militaires mondiales majeures, le provisionnement de terrains d’entraînement pour les forces armées, l’offre logistique et les corridors pour les armes et les transferts de troupes, la contribution au savoir-faire technique, le rôle significatif joué dans les manœuvres mondiales de la guerre et la production et la vente d’armes partout dans le monde, donc, en faisant partie et en permettant meurtre et génocide. Alors que les secteurs privés et étatiques travaillent dur, main dans la main, pour développer même les plus petits pays des Balkans en une région sérieuse de production d’armes et/ou d’achat, nous voyons une pression croissante sur les sociétés locales pour accepter une nouvelle réalité toujours plus militarisée sous le prétention de peur et d’incertitude pour l’avenir.

L’exemple de logique de guerre le plus vile et le plus évident est peut-être le génocide qui se produit à Gaza et les attaques en Cisjordanie contre le peuple palestinien, avec des dizaines de milliers de civil·e·s mort·e·s et toute la région détruite, en diffuson continue sur nos écrans ; tous ces éléments soutenus par les puissances impérialistes mondiales et le complexe militaire-industriel, y compris les États balkans, qui fournissent un soutien politique et militaire. La guerre génocidaire d’annihilation à Gaza sert à la fois de rappel de la capacité colonialiste de l’Occident à mener des guerres d’extermination et comme un laboratoire de thanatopolitique, présentant ce que les classes dirigeantes veulent actuellement et sont capables de faire à des populations entières.

Nous sommes en solidarité avec le peuple palestinien et appelons à la résistance dans chaque localité des Balkans pour perturber le soutien politique et militaire fourni par les États balkans à l’État d’Israël. Nous reconnaissons que l’ennemi n’est pas seulement la guerre elle-même, mais aussi les États et les systèmes capitalistes qui la perpétuent.

Avec tout ce qui précède à l’esprit, nous appelons à des journées d’action transnationales contre le militarisme et le nationalisme au cours de la première semaine d’octobre (1-10 octobre 2024). Au cours de cette période, nous invitons chacun·e, dans sa propre localité et à sa manière, à organiser des actions contre les conditions de la guerre : nationalisme, militarisme, patriarcat, politique d’exclusion, etc. Nous appelons à des actions contre l’industrie de l’armement et le transport d’armes, contre tous les appareils militaires nationaux, les coalitions militaires multinationales, et la militarisation croissante de nos sociétés. Comme les années précédentes, nous soulignons notre solidarité avec tous·te·s les déserteur·se·s, les résistant·e·s à la guerre, et les objecteur·se·s de conscience.

La militarisation des Balkans a conduit par inadvertance à la militarisation des frontières des États, qui sont devenues des peines de mort pour les migrant·e·s utilisant les Balkans comme voie pour atteindre les villes européennes. Dépeints comme frontière de la « Forteresse Europe », les pays des Balkans ont assumé un rôle de contrôle sur le mouvement. Cela signifie repousser, voler, battre, enfermer et même assassiner des migrant·e·s, tous couverts par le langage technocratique de la gestion migratoire. Des centaines de millions de fonds ont été donnés à des pays balkans, les équipant de la technologie de pointe pour la militarisation des frontières et la surveillance, tout en accueillant des forces Frontex, dans un effort concerté pour protéger la « Forteresse Europe ». Maintenant, non seulement les pays des Balkans agissent comme un moyen de dissuasion pour les migrant·e·s venant en Europe, mais ils jouent également un rôle actif dans le « traitement » des migrant·e·s grâce à la création de centres en Albanie pour le compte de l’Italie, ou par la location de 300 cellules pénitentiaires du Kosovo par le Danemark à utiliser pour que les étranger·ère·s soient expulsé·e·s. Comprenant notre propre expérience en provenance de sociétés façonnées par la migration (ou en être une), nous sommes en solidarité avec les migrant·e·s qui vont et passent par les Balkans, et soulignons la nécessité de renforcer les initiatives anarchistes transnationales pour fournir un soutien aux personnes de passage.

L’existence angoissante des femmes, des personnes trans, de genre non conforme et queer dans les sociétés capitalistes patriarcales, est davantage exacerbée par les réformes néolibérales, les forces de bureaucratie réactionnaires et la déshumanisation de la politique de l’État. Dans les États de plus en plus nationalistes et militarisés, la rhétorique du déclin démographique est utilisée pour justifier des politiques plus restrictives concernant l’autonomie de la naissance. Les corps deviennent réduits à de simples navires pour la reproduction, tant en termes de naissance et de soins, qui sont exploités par le capital en tant que main-d’œuvre étroitement contrôlée par un contrôle direct sur les corps. Ainsi, la lutte anarchiste pour la liberté et l’égalité est intrinsèquement une lutte féministe. Nous affirmons notre engagement envers la lutte contre le patriarcat dans toutes ses formes d’exploitation et d’inégalité, ainsi que notre engagement envers la lutte pour la justice reproductive, l’avortement sûr et autogéré.

De plus, nous soulignons que notre mouvement anarchiste doit être un espace sûr pour chacun·e, favorisant les environnements qui englobent l’idéal d’égalité, exempt de machisme, de misogynie, d’homophobie, de transphobie et de queerphobie. Comprenant qu’il y a encore du travail à faire à cet égard et afin de favoriser cette culture, nous nous engageons dans la justice transformatrice au sein de nos communautés.

La lutte contre le capitalisme signifie lutter contre sa logique et sa prise sur plusieurs fronts. Ainsi, notre lutte fait partie intégrante de la multitude de luttes au sein de la société, chaque localité connaît un contexte différent. Par conséquent, la lutte anarchiste contre le capitalisme est également une lutte contre toute violence et destruction de l’État. Ce BAB a réaffirmé notre engagement envers l’abolition des prisons et a souligné notre soutien public aux prisonnier·ère·s anarchistes de la région et au-delà. En tant qu’anarchistes, nous devons également être au premier plan de la lutte contre la destruction environnementale. Ainsi, nous devons développer des stratégies qui non seulement abordent les crises immédiates (qui ont souvent dépassé nos capacités) mais créent également une analyse multicouche à long terme ainsi que des structures de résistance contre le capitalisme. Cela ne peut être réalisé qu’en reconnaissant l’interdépendance de nos luttes, qui doivent se refléter dans tous les aspects de notre organisation et de nos actions.

Au cours de ce BAB, nous avons également discuté de l’importance d’élargir et d’établir notre propre infrastructure autonome. Les squats et les centres sociaux autonomes sont d’une importance significative dans cette infrastructure, fournissant des espaces pour l’organisation, la construction communautaire et la résistance. Cependant, ces espaces sont confrontés à des défis importants, de la répression de l’État aux contradictions internes. Nous avons confirmé la nécessité de favoriser ces initiatives, reconnaissant leur rôle dans le mouvement et les communautés dans lesquelles nous vivons.

Dans le même ordre d’idées, nous avons souligné l’importance d’établir nos propres initiatives d’impression et de médias anarchistes, tels que les projets radio, qui sont cruciaux pour diffuser des nouvelles et des expériences sur la lutte de notre mouvement, ainsi que pour la société dans son ensemble. Dans le même ordre d’idées, nous reconnaissons également la nécessité de prendre soin de notre propre histoire grâce à des projets d’archives. Ces projets peuvent servir non seulement de plateformes pour l’enregistrement et l’écriture de l’histoire à travers nos propres récits, mais aussi comme des sources de connaissances sur les tactiques, les pratiques et les analyses que nous pouvons encore mettre à profit.

Le Salon du livre anarchiste des Balkans 2024 a réaffirmé notre force collective et notre engagement à construire un monde sans oppression, mettant en évidence notre dévouement à la résistance d’une part et la solidarité de l’autre. Alors que nous regardons vers l’avenir, nous devons continuer à créer des réseaux de soutien et à développer des stratégies pour affronter le système capitaliste et l’État qui le protège. Nous devons étendre nos réseaux et atteindre les villes balkaniques où il n’y a pas d’initiatives anarchistes, les soutenant à s’établir et à prospérer. La coordination et la solidarité sont les piliers sur lesquels nous allons construire notre résistance et créer un avenir basé sur l’entraide, la liberté, l’empathie radicale et l’égalité.

Nous devons souligner une fois de plus l’importance de tenir ce salon du livre dans une localité albanophone, le marquant comme le premier rassemblement anarchiste dans ces terres. Les collectifs, les groupes et les individus venu·e·s du monde entier ont eu la chance de se renseigner sur le contexte de la lutte locale et de partager leurs expériences avec les habitant·e·s de Pristina. Pour de nombreuses personnes à Pristina, visitant le salon, ainsi que pour les collectifs et les individus qui l’ont soutenu, il s’agissait d’une expérience d’apprentissage qui a démontré le pouvoir de l’organisation non hiérarchique basée uniquement sur la solidarité et l’entraide. Il a également souligné la pertinence de l’analyse anarchiste et de l’organisation dans les luttes locales et régionales.

Enfin, nous sommes très heureux·ses d’annoncer que le prochain Salon du livre anarchiste des Balkans sera tenu à Thessalonique, en Grèce.

Participant·e·s du Salon du livre anarchiste des Balkans 2024

7 juillet, Pristina.