Italie : une déclaration d’Alfredo Cospito depuis la prison d’Opera

[Cette déclaration a été lue le 14 mars depuis la prison d’Opera (Milan) par l’anarchiste Alfredo Cospito, lors d’une audience en visioconférence devant le tribunal de Pérouse concernant l’opération policière « Sibilla » de 2021. Toutes les mesures de contrôle judiciaire contre Alfredo et les cinq autres compagnons prononcées dans le cadre de cette opération ont été annulées (il s’agissait d’une opération visant le journal anarchiste Vetriolo pour « instigation au crime, à finalité terroriste »).
L’enquête Sibilla, avec le procès Scripta Manent, est l’un des deux « piliers juridiques » sur lequel repose la mise au 41bis du compagnon. Alfredo Cospito est actuellement à plus de 150 jours de grève de la faim contre ce régime carcéral 41bis dans lequel il est enfermé depuis mai 2022, et contre la perpétuité incompressible. Nous livrons ici une traduction de l’italien de sa déclaration prononcée lors de cette audience.]


Déclaration d’Alfredo Cospito lors de l’audience de réexamen
des contrôles judiciaires dans l’opération Sibilla

Tout d’abord, je voudrais commencer par une citation de mon instigateur :

« Notre système a introduit cette figure d’isolement mortuaire qui est le 41 bis et qui, à certains égards, est encore plus incivile que cette mutilation pharmacologique [la castration chimique]. C’est dire que notre système ne brille pas par sa civilisation »
Carlo Nordio, 28 mars 2019

C’est lui, Nordio [actuel ministre de la Justice] qui a été l’instigateur du combat que j’ai lancé. Je n’aurais jamais pensé en arriver là, j’ai toujours trouvé le mélodrame ridicule et je préfère la comédie, mais les choses sont ainsi. Après tout, ne sommes-nous pas le pays du mélodrame ? Il me faut donc finir en beauté. Quand j’y pense, il y a tout de même quelque chose d’ironique : je suis le seul couillon qui va mourir dans l’Occident démocratique progressiste parce qu’on l’empêche de lire et d’étudier ce qu’il veut, des journaux anarchistes, des livres anarchistes, des revues historiques et scientifiques, sans oublier les bandes dessinées que j’aime tant.
Vous admettrez que la chose est paradoxale et même un peu comique, mais je ne réussis pas à vivre comme ça, vraiment je n’y arrive pas, j’espère que ceux qui m’aiment le comprennent. Je n’arrive pas à me résoudre à cette non-vie, c’est plus fort que moi, peut-être parce que je suis un anarchiste entêté des Abruzzes. Je ne suis évidemment pas un martyr, les martyrs me provoquent un certain dégoût. Oui, je suis un terroriste, j’ai tiré sur un homme et j’ai revendiqué fièrement ce geste même si, permettez-moi de vous le dire, la définition fait un peu rire dans la bouche de représentants d’Etat qui ont sur la conscience des guerres et des millions de morts et qui parfois, comme l’un de nos ministres, s’enrichissent grâce au commerce des armes. Mais que voulez-vous, ainsi va le monde, du moins tant que l’anarchie ne triomphera pas et que le vrai socialisme, celui qui est anti-autoritaire et anti-étatique, ne voie enfin le jour. C’est pas demain la veille, direz-vous et moi aussi, car pour l’instant, les seules lueurs que je vois sont les gestes de rébellion de mes frères et sœurs révolutionnaires du monde entier, et ils ne sont certainement pas négligeables, car ils sont accomplis avec cœur, passion et courage, aussi épars et décousus qu’ils puissent paraître.

Cela dit, je voulais expliquer le sens de mon acharnement contre le régime du 41 bis. Je crois que certains juristes l’ont saisi, mais très peu l’ont compris : le 41 bis est une métastase qui risque et de fait est en train de miner votre soi-disant État de droit, un cancer qui dans une démocratie un tantinet plus totalitaire – et avec le gouvernement de Meloni, nous y sommes presque – pourrait être utilisé pour réprimer, pour faire taire par la terreur n’importe quelle dissidence politique, toute sorte d’extrémisme hypothétique. Le tribunal qui décide  la condamnation à la muselière moyenâgeuse du 41 bis est entièrement semblable au tribunal spécial fasciste, les dynamiques sont les mêmes : je ne pourrais sortir de ce cercle dantesque que si je renie mes convictions politiques, mon anarchisme, que si je vends quelque compagnon ou compagnonne. Cela commence toujours par les tziganes, par les communistes, par les antagonistes, par les voyous, par les subversifs et ensuite contre les gauches plus ou moins révolutionnaires.

Comment pouvais-je ne pas m’opposer à tout cela, certes de façon désespérée, et comme pour un anarchiste, justement parce que nous n’avons pas une organisation, la parole donnée est tout, voilà pourquoi j’irai jusqu’au bout. Pour conclure, comme le disait l’anarchiste [Emile] Henry, si je me souviens bien, avant qu’on ne lui tranche la tête : quand le spectacle ne me plaît plus, j’ai au moins le droit de le quitter, et de sortir en claquant bruyamment la porte. C’est ce que je ferai dans les prochains jours, avec dignité et sérénité, je l’espère, autant que possible.

Une forte accolade à Domenico qui, au 41 bis de Sassari, a entamé une grève de la faim dans l’espoir de pouvoir embrasser à nouveau ses enfants et ses proches, avec le fort espoir que d’autres damnés du 41 bis brisent la résignation et se joignent à la lutte contre ce régime carcéral qui fait de la constitution et du soi-disant – pour ce qu’il vaut – état de droit un chiffon de papier.

Abolition du régime 41 bis.
Abolition de la perpétuité incompressible.
Solidarité avec tous les prisonniers anarchistes, communistes et révolutionnaires du monde entier.

Merci frères et sœurs pour tout ce que vous avez fait, je vous aime et pardonnez cette obstination illogique qui est la mienne. Jamais à genoux, toujours pour l’anarchie.

Vive la vie, à bas la mort.

Alfredo Cospito
(En vidéoconférence depuis la prison de l’Opéra, le 14 mars 2023)

[Traduit de l’italien de lanemesi, 23 mars 2023]