Barcelone (Espagne) : une lettre de Danilo

Lettre de Danilo, accusé de l’incendie d’un fourgon de police à Barcelone
Indymedia Nantes, 16 avril 2021

En février, l’incarcération du rappeur Pablo Hasél et les émeutes à Linares, en Andalousie, suite au tabassage d’un homme et sa fille par des flics en civil ont été l’étincelle d’un bref moment de révolte dans le territoire ibérique, notamment en catalogne. Les raisons vont au-delà de la liberté d’expression: haine de la police, refus du couvre-feu, situation économique et sociale, etc. Le samedi 27 février une émeute à lieu dans le centre de Barcelone: banques et commerces défoncés, DABs cramés, affrontements et barricades contre les schmits, et léger incendie d’un camion de police. Niveau répressif, de nombreuses blessées, une centaine d’arrestations, et une douzaine de personnes incarcérées, dont huit compagnon·nes arrêtées le 27 février et le 1er mars pour l’incendie du camion.
Pour plus d’infos: presxs27febrer.noblogs.org

27/03/2021
Salut tout le monde !

Je suis Danilo, un des arrêté·e·s lors de la manif du 27 février. Comme beaucoup de gens savent déjà, j’écris depuis Brians 1 (Martorell). Aujourd’hui ça fait un mois qu’on a été arrêté.e.s je voulais publier un écrit plus tôt mais je devais me faire une meilleure idée de ce qui allait se passer, autant pour moi que pour les autres, aussi recevoir des nouvelles du dehors, etc.

Cela dit, je veux commencer par remercier les très nombreux gestes de solidarité que nous avons reçus, beaucoup de gens se sont impliqués dans ça, en apportant beaucoup, que ce soit matériellement avec des lettres, des thunes, des cartes postales, des habits, etc. ou pratiquement avec des manifs, initiatives et autres. Chacun de ces apports aide beaucoup à ce que l’on réussisse à garder le moral et à se sentir soutenu ce qui est très important ici, vraiment merci!

Pour résumer, pour qui ne saurait pas, on nous accuse de tentative d’homicide, atteinte à l’autorité [équivalent de violences sur pdap dans le droit français], désordres publics, délit continué de dégradations et appartenance à un groupe criminel. Récemment la compagnonne accusée d’avoir mis le feu au camtar de la urbana [la municipale de Barcelone] est sortie en liberté provisoire. Ce qui est génial en soi, et nous pensons aussi que peut-être ce soit un signal que cette affaire commence à être démontée.

Cependant, il est toujours très compliqué de prévoir quoi que ce soit, au vu de l’absurde et pathétique cirque médiatique qu’iels ont fait, en plus de la gravité de certaines accusations, c’est pourquoi personnellement je préfère me faire à l’idée de que ça va prendre un temps relativement long pour sortir d’ici. C’est pas que j’aime pas l’idée, simplement je préfère avoir des bonnes surprises que des déceptions, me ronger la tête avec le temps, etc., jusqu’à présent ça a marché pour moi, et je peux dire que malgré tout je suis serein !

A propos de notre arrestation, je dois dire que j’ai halluciné que nous n’ayons pas été tabassés salement, c’est quelque chose que j’anticipais quand on était menottés dans la rue, je croyais que c’était le protocole ordinaire dans ces situations (je le crois encore), ou peut-être est-ce l’exception qui confirme la norme. En vrai j’en suis perplexe, et finalement je suis arrivé à la non-conclusion de que peut-être le fait que les médias parlaient depuis des jours sur « interventions disproportionnées », comme iels les appellent, des mossos [flics catalans], ou que iels aient voulu éviter des nouveaux·lles « martyres » qui redonneraient de la force aux manifs… j’en sais rien, en vrai, mais tant mieux pour nous ! Des insultes et des menaces, on en a eu. « On se verra dans la rue à Mataró quand tu seras dehors, porc, voyons si tu nous caillasses ! » m’a dit un schmit au comico de Mataró avant qu’iels nous amènent menottés Luca, Albo, Hernan et moi au théâtre très minable qu’iels ont fait pour perquisitionner le Nabat, un squat où certains d’entre nous avons vécu, avec les antiémeutes tapant la pose face aux journalistes, au milieu de la route, avant de nous ramener à la cellule, pff!

Maintenant, quelque chose de très positif, en plus de la libération de Sara, et que j’attendais pas, est que nous soyons tous·tes ici à Brians 1, distribué·es dans trois modules différents. Celleux qui sommes dans le même module nous nous voyons chaque jours en promenade (6 heures par jour, 4 le matin, 2 l’après-midi) tandis que d’un module à l’autre on s’écrit et les lettres mettent « seulement » quelques trois jours à arriver, en plus de pouvoir avoir des communications, parloirs internes, etc. Tout ça est très bien, nous nous soutenons mutuellement et ça aide de ouf.

Le module 4, où Albo, Luca et moi nous sommes, est le plus tranquille, comme on dit, « la cour de l’école », « module de respect » pour les fonctionnaires. La plupart sont ici pour du stup (trafic), vol et conneries, après il y en a qui dans d’autres modules ne tiendraient pas un jour (délits sexuels) et beaucoup de poucaves, c’est pourquoi ce module est si tranquille, certains prisonniers sont plus matons que les matons, encore plus que dans d’autres modules au moindre truc t’es envoyé au spécial et après dans un module conflictuel. En fin, heureusement on rencontre aussi des gens chouettes, ça pourrait être bien pire.

Autre chose, avant de finir, je veux exprimer mon mépris total vers les médias de désinformation du régime, une fois de plus ils sont au top dans leurs efforts pour manipuler l’opinion publique avec leurs mensonges, sensationnalisme et baratins, appuyant la répression, des charognards serviles qui profitent du mal-être d’autrui, c’est un taff, ça ? Toujours en train d’offrir un support sur lequel les appareils répressifs peuvent bâtir ensuite leurs représailles. Chaque fois qu’ils sont menacés, ils essayent de vendre la même histoire : derrière le mal-être social diffus et les révoltes il n’y a qu’un groupe de conspirateur·ices, pour pouvoir appliquer une punition exemplaire, deux pierres d’un coup : d’un côté iels frappent celleux qui dérangent avec leurs luttes et revendications et de l’autre iels essaient de faire peur à celleux qui songent à sortir dans la rue pour protester. Iels prétendent être surpris·es quand une foule de jeunes éclate avec rage en les identifiant comme responsables (flics, journalistes, banques, multinationales, grands commerces) de conditions de vie de plus en plus précaires et misérables et des systèmes de contrôle social de plus en plus étouffants. Iels font semblant d’être des victimes, comme font les pires bourreaux, des loups déguisés en moutons ! Je voulais laisser clair à celleux qui nous soutiennent que c’est ce que je pense, je crois que c’est important. J’emmerde les appareils répressifs et leurs états ! Je ne renoncerai pas à mes idées par peur qu’elles soient criminalisées.

Bref, désolé si j’ai été trop long, mais il y avait beaucoup de choses à dire sur ce mois et je ne voulais pas le faire en style télégramme ou communiqué ennuyant.

Un câlin énorme pour tous·tes ! Pourvu que je puisse vous revenir bientôt ! Et une fois de plus, merci pour tout !

Beaucoup de force et de solidarité aussi pour les autres réprimé·es dans les prisons du monde entier !

Liberté pour tous·tes !
À bas les murs des prisons
Et vive l’anarchie !

Danilo


Pour la correspondance :

Danilo Infantino
C.P. Brians 1, Módulo 4
Apartado de correos 1000
08760 MARTORELL (Barcelona)
ESPAGNE

Jusqu’à présent nos lettres n’ont été ouvertes qu’en notre présence, sans être lues.