Monologue dans le vide de la grande antenne avant de s’éteindre

« Je veux m’en aller, je n’en peux plus de l’immobilité de ces gens, qui passent en-dessous de moi sans même me remarquer, alors qu’ils se tapent les ondes électromagnétiques que j’émets et restent les yeux fixés sur leurs smartphones comme des automates hagards, smartphones qui ne sont rien d’autre que l’outil qui les contrôle, les anesthésie et les abrutit, à leurs dépens mais pour le bien de l’Etat et des multinationales. A tout moment, de l’usine au petit tour dans le parc avec le chien, ils emmènent avec eux le bâton et la carotte de leur servitude obstinée. Il semble bien qu’ils se fichent d’être devenus complètement soumis à un rectangle de puce électronique et de couleurs à cristaux liquides. Il semble qu’ils se foutent comme de l’an quarante d’être pris pour des cobayes et des pantins, réduits à la portion congrue dans une vie gouvernée, schématisée, happée et violée par un pouvoir schizophrène qui s’érige en plus grand défenseur de la vie même, alors qu’il s’agit de défendre l’économie et les privilèges, avant de démontrer dans les faits que la vie humaine, vraie, libre et complète, vaut pour lui moins que zéro. Ces bien-pensants peu pensants que je vois défiler chaque jour dans la rues de Rome, passent à mes pieds en laissant tout passer.

Hier, ils se faisaient tuer au travail, dans les rues, ils acceptaient de respirer toutes sortes de poisons, ils baissaient des yeux indifférents face à ceux qui meurent de faim et fulminaient contre celui qui est différent, tous apeurés de perdre les maigres privilèges qu’ils avaient. Aujourd’hui, je les vois courir bouleversés d’un endroit à l’autre à la recherche de quelqu’un qui puisse leur injecter dans le corps un extrait chimique dont ils n’ont pas la moindre connaissance et garantie, sinon celle donnée par ceux qui leur ont vendu cet extrait chimique. Tous ont une confiance, résignée et prosternée, dans leur gouvernement, dans le fait que ce dernier prenne soin de les protéger et de les rendre à nouveau sains, nets, opérationnels.
Peu importe que ce gouvernement les ait toujours laissés mourir, eux et les autres habitants de cette immonde planète. Morts au travail, morts en prison, morts de traitements aventureux, pressés et inutiles dans les hôpitaux, morts dans les commissariats et les casernes, morts dans les rues, morts dans les guerres, morts en mer. Leur gouvernement se fout des morts, leur gouvernement est né et vit de la mort, c’est son pain quotidien. Sans la mort et la peur qu’elle instille chez ses citoyens, l’État périrait et succomberait aux émeutes et aux révoltes. La peur de la mort chez ses sujets et sa qualité de garant du salut, voilà sa force. Voilà la force du Dieu État.

Ces êtres déambulants feraient n’importe quoi pour leur supposé « salut ». Ils se barricadent volontairement à la maison sans jamais sortir, ils sont prêts à risquer la thrombose cérébrale en se faisant vacciner, y compris sous menace de licenciement. Ils lisent le journal et applaudissent les nouveaux dirigeants et leurs politiques meurtrières, pour s’indigner lorsqu’ils réalisent l’effet négatif de ces politiques sur leur peau, et alors ils descendent dans la rue en compagnie de n’importe qui, même des pires rampants fascistes, pour aller gémir devant les matraques, se faire tabasser puis, incrédules et terrifiés du traitement de routine qui leur est réservé par l’Etat à travers la police, se distancient et enragent contre celles et ceux qui choisissent de ne pas se faire frapper et se défendent ou attaquent avec violence. Pourtant, ces êtres usés, zombies et tristes, acceptent n’importe quoi, ils sont prêts à être étudiés, surveillés, contrôlés, organisés. D’ici peu, ils seront prêts à se déplacer comme un troupeau, entrant dans les musées et les concerts en groupes ordonnés, le carnet de vaccination à la main, attendant avec anxiété d’y pénétrer pour quelques heures afin d’ingurgiter une portion préchauffée de la culture des riches et de misère musicale.

Mais comment font-ils à ne pas comprendre, à ne pas se rendre compte ? Ils réussissent vraiment à accepter tout cela sans bouger un doigt ? Je suis un amas électrique de fer et de câbles, créé par des humains et doté d’aucune forme évidente de pensée, et pourtant je n’en peux plus de me trouver face à ce dégoût. Je veux y mettre fin. Et si personne ne vient me saboter et me mettre le feu maintenant, je jure que d’ici cinq minutes je me mets le feu tout seul et je dis adieu à cette misère quotidienne, au petit théâtre macabre et grotesque que ceux dotés de respiration ont le courage d’appeler vie. Un truc en fer comme moi n’est peut-être pas capable de comprendre ce qu’est vraiment la vie, mais j’ai compris la dignité et ce que j’en vois de l’extérieur ne lui correspond pas du tout. Soyez heureux, humains et humaines, je fais un acte d’amour envers vous, même si vous ne le méritez peut-être pas, et je m’éteins. Ou mieux, je m’allume. Allez vous faire voir. »

L’antenne 5G qui est partie en fumée pour une raison mystérieuse à Rome, dans le quartier Tor Tre Teste la nuit dernière, n’a probablement rien pensé de tout cela, mais il me plaît, romantiquement, de penser qu’elle l’ait fait et qu’il se soit agi d’une belle manière, pour un pylône, de briller de sa propre lumière et de disparaître avec dignité. Peu importe s’ils en construiront tout de suite un autre, peu importe qu’il se soit agi d’un court-circuit ou de souffles subversifs. C’est l’idée qui compte, non ? Ou plutôt, qui sait si les libres citoyens qui passent tous les jours sous feue la grande antenne (vingt-cinq mètres de haut) auront l’occasion de remarquer ce qui s’est passé, ou s’ils seront trop occupés par le dernier post ou par le chiffre des morts dans le journal. S’ils continueront à se faire entièrement passer dessus ou s’ils passeront enfin sur tout, le feu à la main et la fumée dans le ciel. R.I.P. grande antenne, que mille autres comme toi suivent ton exemple.

[traduit de l’italien de nereidee, 15 avril 2021]


Alerte à Tor Tre Teste, l’antenne 5G brûle : le pylône sous
séquestre

Corriere della sera, 15 avril 2021 (traduction, extrait)

Feu nocturne dans la cabine électrique de l’installation. Les pompiers sont sur place avec les carabiniers et les techniciens d’Acea Reti pour la déconnexion de l’alimentation électrique. Mystère sur les causes de l’incendie.

L’antenne 5G de via di Tor Tre Teste, dans le quartier Alessandrino à Rome, a été mise sous séquestre. Cette mesure prise par les carabiniers est la conséquence de l’incendie qui s’est déclaré mercredi soir sur ce pylône de 25 mètres de haut éteint par une équipe de pompiers avec l’appui d’un camion et de sa grande échelle. Les investigations sur les causes de l’incendie, qui a mis hors service cette installation de dernière génération, se poursuivent. Une surchauffe du système n’est pas exclue. À leur arrivée, les pompiers ont éteint les flammes qui avaient affecté les câbles et les batteries de secours de la cabine électrique avec des extincteurs à poudre.