Sur la vie d’une prisonnière
Tout ce qui rend cette société, dans laquelle nous sommes contraints de vivre, si hostile et si réfractaire à la vie, transparaît dans le lieu qu’elle a inventé pour rappeler à tous les êtres humains – ceux qui s’écartent de la norme comme ceux qui semblent pleinement s’y intégrer – ce qui attend quiconque franchit les limites ou sort de cet ordre : la prison. Un lieu qui, à la place ou en plus des condamnations à mort d’autrefois et d’aujourd’hui, met en œuvre une autre forme d’exécution : la mort suspendue. Enterrés vivants dans un tombeau jusqu’au jour de la résurrection, coupés de nos proches, du monde vivant et de l’impulsion naturelle de notre corps à se déplacer librement dans le monde, réduits à un numéro dans une machine parfaitement fonctionnelle, pour être gérés, observés, éduqués.
Lorsqu’on se retrouve pour la première fois dans les griffes de cette machine, on est surpris de voir à quel point tout nous semble familier. Certains diront même : « Ce n’est pas une punition. C’est un internat de rééducation. » Et ils ont raison. Mais ils oublient que nous ne découvrons pas la prison le jour de notre incarcération ; elle fait partie de notre vie depuis notre plus jeune âge : au jardin d’enfants, à l’école, à l’hôpital, puis plus tard au bureau, à l’usine, à la caserne, à la maison de retraite. Triés et rangés, habitués dès le plus jeune âge au tic-tac de l’horloge et au rythme des machines, enfermés dans des cavernes de béton, coupés du rythme pulsatoire du devenir et du déclin, réduits à une fonction dans le système, conditionnés à considérer le pays et ses habitants en fonction de la valeur monétaire que l’on peut en tirer, pleins d’ignorance, voire de mépris arrogant envers toutes les activités et compétences liées à la subsistance et à l’auto-organisation. Lire la suite de la lettre de N.