Malte : émeute et évasion vs passeports dorés

A Malte, un des camps cerné de barbelés où sont enfermés près de mille individus dépourvus du petit bout de papier adéquat est situé dans la base militaire de Hal Safi, près de l’aéroport international au sud-est de l’île. Mais comme aucune cage ne pourra jamais étouffer la soif de liberté, des révoltes et évasions s’y produisent régulièrement, comme ce vendredi 18 septembre, où vers 2h du matin une nouvelle émeute a fini par exploser dans ce camp face aux insupportables conditions de réclusion et à l’enfermement tout court. Cinq migrants sont également parvenus à s’en évader.

A leur arrivée pour tenter de stopper l’émeute, les flics des unités spéciales d’intervention (Rapid Intervention Unit, RIU) ont été accueillis avec des pierres, tandis que des matelas brûlaient dans la cour. Sept flics des RIU ont été blessés lors de l’affrontement grâce à des coups de barre de fer bien placés, et deux ont dû être transportés d’urgence à l’hôpital Mater Dei. Quant aux cinq évadés (du Soudan, d’Érythrée et de Somalie), ils ont réussi à forcer l’entrée non sans avoir blessé cinq flics avant d’être repris à l’extérieur. L’un d’eux a également dû être transporté à l’hôpital, après qu’un vigile du centre l’ait blessé par balle en lui tirant dessus à l’aide d’une arme qu’il conservait dans sa voiture, pour l’empêcher de poursuivre sa belle en escaladant le grillage qui donne sur l’aéroport.

Le zèle de cette ordure en uniforme lui aurait certainement valu la récompense habituelle de ses chefs s’il l’avait seulement tabassé jusqu’au sang, mais le fait qu’il n’était pas autorisé à porter une arme et que cette dernière n’était pas non plus déclarée aux autorités lui a valu d’être mis en examen pour tentative d’assassinat… avant d’être libéré sous caution. Le lendemain, samedi 19 septembre, vingt-sept migrants sont de leur côté passés au tribunal et ont plaidé non coupables, avant d’être incarcérés en préventive dans la prison de Corradino.

Vendredi 2 octobre s’est déroulé le premier procès de l’émeute, contre les cinq migrants désignés comme les meneurs (les émeutiers ont été divisés en cinq groupes distincts qui seront jugés séparément). Ils ont tous pris 30 mois de prison ferme pour dégradations volontaires, attroupement illégal et incendie criminel – les matelas ! A l’occasion de leur procès a été évoqué le cas du vigile qui avait tiré par deux fois sur un des évadés à l’extérieur de l’enceinte, et le ministère de l’Intérieur maltais s’est justifié de l’emploi de trois compagnies de gardes privés – Signal 8, JF Security et Executive – pour surveiller les camps de Hal Safi et Hal Far par l’arrivée de 2000 migrants cette année, qui aurait débordé ses services de police.

Rappelons que Malte est un des pays de l’Union européenne qui tout en assumant sans vergogne sa part de responsabilité dans la transformation de la Méditerranée en vaste cimetière de migrants qui tentent d’échapper à la misère, vend d’un autre côté des passeports d’accès à l’Europe depuis 2014 à toutes les crapules qui peuvent mettre 650 000 € dans un de ses fonds d’investissement étatique, plus 150 000 € dans ses instruments financiers tout en possédant un bien immobilier à pas moins de 350 000 € dans l’île, en leur offrant alors directement la nationalité maltaise en quelques mois. Une opportunité dont nombre d’exploiteurs millionnaires (russes, chinois et arabes) se sont par exemple saisis depuis la crise du covid pour échapper aux confinements drastiques de leur pays d’origine et continuer leur sale business.

Quant aux révoltes de migrants dépourvus de papiers dûment tamponnés et qui ont réussi à forcer les portes de l’Europe, en ayant du courage et de la détermination à revendre ainsi que des dettes à rembourser sitôt arrivés, gageons qu’après les mutineries et évasions dans les centres italiens cet été, puis l’assaut de la frontière à Melilla fin août, suivi des incendies du centre de Moria puis de Samos début septembre et cette dernière émeute à Malte, leur élan vers la liberté n’est pas près de s’éteindre. Quant à nous, dehors, il existe mille possibilités de s’en prendre à l’ensemble des rouages de la machine à expulser qui se trouvent à chaque coin de rue. Des architectes et constructeurs de prisons et centres de rétention, à leurs fournisseurs et gardiens, en passant par tous ceux –journalistes ou politiciens– qui en défendent l’existence au nom de la loi ou des frontières. Parce que comme le disait déjà un vieil anarchiste, « la tyrannie la plus redoutable n’est pas celle qui prend figure d’arbitraire, c’est celle qui nous vient couverte du masque de la légalité. »

Un ennemi de toutes les prisons


Petite chronologie des autres révoltes récentes
dans les camps maltais :

  • Le 22 janvier 2020, vingt-deux migrants reclus dans le centre de rétention maltais de Hal Safi ont été condamnés à neuf mois de prison pour leur implication dans une émeute survenue le 6 janvier, où ils avaient tenté un assaut en force vers la sortie en caillassant les gardiens. Des meubles avaient également été saccagés dans les dortoirs.
  • Le 24 février, dix-neuf autres migrants ont écopé de peines de prison de 9 mois à un an ferme pour « rassemblement illégal et troubles à l’ordre public », ainsi que « dégradation de biens appartenant à l’État » : au cours de l’émeute survenue en octobre 2019, des lits superposés, des téléviseurs et des caméras de surveillance avaient été allègrement réduits en morceaux.
  • Le 20 juin vers 8h du matin au cours de leur ronde, les gardiens du camp voisin de Hal Far (situé lui sur une ancienne base militaire britannique) s’aperçoivent de l’évasion de vingt-et-un migrants, grâce à un trou creusé dans le mur d’enceinte du camp. Aucun n’est repris après deux jours de chasse à l’homme dans toute l’île.
  • Le 2 juillet, deux migrants égyptiens sont condamnés à quatre ans de prison pour avoir incendié plusieurs tentes du camp de Hal Safi lors d’une émeute survenue le 12 décembre 2019.
  • Enfin, comment ne pas évoquer l’émeute qui s’est produite dans le camp de Hal Far, situé à mi-chemin entre la seconde plus grande usine Playmobil du monde et le camp de Hal Safi ? Le dimanche 20 octobre 2019 vers 22h, les premières pierres ont été lancées contre les gardiens du camp face à un énième abus, puis de nombreux incendies ont éclaté contre plusieurs installations officielles du camp, dont le bureau de l’AWAS (Agency for the Welfare of the Asylum Seekers) et cinq voitures de fonction de ses agents. Une fois que ces derniers se sont enfuis, les migrants insurgés ont pris le contrôle du camp jusqu’à 23h30, heure à laquelle des renforts de police et des unités d’intervention rapide antiémeute sont arrivés. Les affrontements se sont poursuivis jusque vers 4h du matin, au cours duquel trois voitures supplémentaires de police ont été endommagées.