Hambourg (Allemagne) : une analyse du dossier des « Trois du banc public »

Espionnages et autres désagréments
traduit de l’allemand de de.indymedia, 29 août 2021

Une analyse de la mise sous observation et de la surveillance des trois anarchistes condamné-e-s dans le dit « Procès du banc-public ».

Dans le texte qui suit nous voulons essayer de résumer les surveillances et les mesures d’investigation autour de la « procédure du banc-public » ainsi que d’expliciter certains points qui peuvent être importants pour des personnes grandement intéressées à préserver leur sphère privée.

Nous voulons d’abord souligner que tout ce qui suit est basé sur les dossiers des keufs et sur les conclusions que nous en avons tirées. De par sa nature même, l’appareil sécuritaire ne montre pas volontiers son jeu et même dans les procédures criminelles, il ne présente ouvertement que les éléments de ses rapports qu’il croit absolument indispensables. La publication de tous les procès-verbaux de surveillances demandée par les avocat-e-s a été, comme attendu, refusée. Par conséquent, nos comptes-rendus sont aussi incomplets. Tirez en vos conclusions et vos enseignements, mais ne considérez rien comme des vérités établies – nous racontons ici une histoire que les keufs ont compilée dans un dossier !
Dans un souci de simplification nous caractériserons les accusé-e-s comme personne 1, 2 et 3, dans leur ordre d’apparition en scène.

Une première théorie et des observations préliminaires

Pour commencer l’histoire, il nous faut revenir un peu en arrière :
dans le contexte de lu sommet de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) alors à venir et des préparatifs contre le sommet du G20, un gros groupe de personnes a attaqué le centre des expositions de Hambourg le 26 novembre 2016.

Cela a mis la direction de la police de Hambourg en émoi. En raison de sa proximité géographique, un lien a été établi avec le LIZ (Libertäres Zentrum, Centre Libertaire). La personne 1 était à l’époque président de l’association appartenant au LIZ et consignée comme telle dans le registre de l’association. Sur la base de prétendues déductions policières, elle a été suspectée, selon la formulation dans le dossier, « d’avoir contribué à l‘action qui aurait nécessité un environnement familier et une préparation intensive », même si sa participation effective n’a pu être prouvée. Les autres éléments mis en avant par les flics étaient de supposés contacts internationaux de la personne 1 ainsi que son intérêt pour l’antirep.
Dans le cadre des opérations de police suite à l’attaque du Centre des expositions, d’autres personnes notamment membres de l’association ont également reçu la visite des flics sur leurs lieux de travail et chez elles, il y a aussi eu une tentative d’utiliser des liens probablement inventés pour tenter de faire collaborer des gens et de semer la défiance.

Suite à cela, la personne 1 a été placée sous surveillance « préventive » plus ou moins régulière au plus tard à partir de mars 2018. Dans le dossier, trois de ces observations menées sur toute cette durée jusqu’à l’arrestation auraient justifié une mesure de surveillance supplémentaire. Nous partons du principe, qu’il y a eu plus de rapports au cours de la première « mesure ». D’après d’autres procédures, il est désormais connu que la méthode d’observations préventives a déjà été utilisée contre d’autres personnes. Les mesures de surveillance se sont apparemment essentiellement orientées sur les données considérées comme particulièrement significatives par les autorités.
Dans les procès-verbaux d’observations, la personne 1 se voit attribuer un comportement conspirateur, reposant entre autre sur l’utilisation de différents vélos.
Par ailleurs, les flics insistent de manière répétée sur le fait que la personne 1 aurait des liens dans la mouvance et fréquenterait des lieux comme le LIZ, l’infokiosque (Infoladen) Schwarzmarkt et la Rote Flora. (après la vague de perquisitions au niveau national en lien avec les actions de la Elbchaussee lors du G20 de Hambourg, la personne 1 aurait par exemple été à une assemblée générale dans la Flora)

Au plus tard après une opération de surveillance dans la nuit du 16 au 17 mars 2018, les keufs ont en outre suspecté une participation à des actions offensives, puisque – selon les autorités répressives – il serait possible d’établir un lien temporel entre l’heure de sortie et de retour chez elle de la personne 1 (avec d’autres personnes) et des vitres brisées en ville. D’après ce que nous savons, cela n’a d’ailleurs pas suffi, y compris par la suite, au moindre « début de soupçon » qui aurait pu donner lieu à une procédure d’instruction concrète. Mais cela peut aussi relever d’une décision tactique des keufs pour ne pas avoir à révéler la surveillance.
La manière exacte dont l’espionnage s’est déroulé n’est pas claire, mais il est clair qu’il y a eu une surveillance vidéo d’entrées de domiciles. À ce moment-là, la personne 2 se retrouve aussi dans la ligne de mire en tant que colocataire et que personne contact.

En partant de ces « raisonnements », une surveillance à plus long terme de la personne 1 a été ordonnée pour six mois, du 9 novembre 2018 au 8 mai 2019. En même temps, des « délits de grande importance » en rapport avec les rencontres au sommet prévues et la campagne „united we stand“ étaient pronostiqués.
Au cours de cet espionnage à plus long terme, (presque) tout l’arsenal de surveillance a été employé : la surveillance du domicile et des endroits fréquentés comme le LIZ et l’Infokiosque Schwarzmarkt, la surveillance technique des moyens de (télé)communication et, en lien avec les vélos, le placement de GPS ont été autorisés.
Dans la même lignée, il a été démontré que l’infokiosque a été longtemps mis sous surveillance vidéo à partir d’un bâtiment se trouvant en face.

Un jour avant le terme du délai de surveillance, un prolongement de la mesure pour six mois supplémentaires a été demandé par la même administration du SOKO Schwarzer Block. La requête de prolongation était entre autre motivée par la tenue prochaine du sommet du G7 à Biarritz (24 au 26 août 2019). Les flics affirmaient aussi que leurs soupçons quant à « l’appartenance » et à des « contacts internationaux » se seraient confirmés – il a suffi pour cela d’un supposé voyage dans une partie de la France très loin de Biarritz. Les keufs se sont aussi servi de l’hypothèse d’une participation internationale au bloc noir dans la Elbchaussee lors du sommet du G20 [à Hambourg].
Ainsi, la personne 1 a finalement aussi été épiée le 7 juillet 2019.

Une nuit d’été en juillet

Selon le rapport des flics, l’observation du 7 juillet 2019 a commencé en début de soirée devant le domicile des personnes 1 et 2. À 19h02, les deux ont été vues en train de rentrer chez elles. Le motif donné pour des surveillances à ce moment-là était l’anniversaire du sommet du G20 et les actions en lien attendues par les flics.
Nous pensons que dans ce cadre il y a eu beaucoup d’autres observations dans la ville et que presque tous les keufs, le LKA [la PJ] etc. étaient sur le pied de guerre. Avec la volonté, pleins de honte vis-à-vis de la campagne offensive contre le sommet du G 20 des années précédentes, de finir tout de même par dégotter quelque indice.

À 21h26, la personne 1 quitte son domicile en vélo et à partir de ce moment-là se fait suivre par des vélos et probablement des voitures. À 21h39, la personne 1 entre dans une station-service, prend de l’essence dans un bidon et paie.
Dès le lendemain matin, les flics se font remettre par le responsable de la station les images vidéo des caméras à l’extérieur et à l’intérieur du magasin. Certes, quelques-unes des 14 caméras au total ne fonctionnaient pas, mais il faut toujours prendre en compte que des images sont prises et enregistrées. En raison de la largeur d’angle des caméras, porter une casquette à visière n’offre pas une protection suffisante.
Après son arrêt à la station-service, la personne 1 continue à être suivie jusqu’à des jardins ouvriers, où les keufs la perdent de vue de 21h47 à 22h48. Les flics attendent manifestement pendant cette heure et reprennent leur filature lorsque la personne 1 quitte les jardins par la même entrée. Les keufs voient la personne 1 vider un sac-poubelle dans une poubelle, qui apparaîtra ensuite comme élément de preuve dans le dossier, avec des recherches d’ADN et ainsi de suite. Puis ils suivent la personne 1 jusqu’à son domicile, où elle rentre à 23h04.

Selon le procès-verbal, les personnes 1 et 2 sortent peu après, à 23h16, de la maison et sont filées, sur un trajet plus ou moins direct, de là jusqu’à un espace vert de la Fruchtallee. Là, les flics perdent provisoirement le contact à 23h50 après que les lumières des vélos aient été éteintes.
À 23h57, les flics repèrent deux personnes dans un parc au Eppendorfer Weg et décident d’intervenir, probablement de peur de perdre à nouveau leurs objectifs. La personne 3 se fait chopper avec.

Ce qui suit est généralement connu : fouille des personnes, arrestation, relevés signalétiques, dans la même nuit plusieurs perquisitions aux différentes adresses de domiciles et lieux d’habitation. (« d’éventuels véhicules existants » étaient d’ailleurs également mentionnés sur le mandat de perquisition.)
De plus, un « prélèvement corporel » de la personne 1 a été réclamé pour le recours à des chiens, destiné à déterminer où la personne 1 avait été pendant une heure dans les jardins associatifs. Sur requête du Parquet (« cas d’extrême urgence ») il y a donc eu un frottis cutané dans la cellule de garde-à-vue.
L’intervention d’un chien renifleur dans les jardins-ouvriers a pourtant été décommandée, les keufs ayant entre-temps trouvé qu’une parcelle était attribuée à la personne 1, ils se sont ainsi épargné une coûteuse recherche.

Dans la foulée des arrestations, des parties de l’entourage personnel des personnes 1 et 2, ainsi que de la personne 3 qui n’a pas été incarcérée, ont évidemment été observées par des forces du LKA. La surveillance a d’abord été mise en place pour une durée d’un mois (au maximum du 9 juillet 2019 au 15 août 2019), ce à quoi il faut ajouter l’investigation du téléphone portable et des données de localisation de la personne 3. Il s’agissait là pour les flics surtout de recouper l’ensemble des contacts.
Il y a aussi eu tant des enregistrements vidéo d’un angle donnant sur l’entrée du domicile de la personne 3 que d’autres prises d’images, probablement réalisées par des flics en civil. Certaines des personnes observées rencontrant la personne 3 durant cette période ont aussi été poursuivies par la suite. Officiellement, toutes les observations ont été menées de jour entre 7h et 20h dans un laps de temps de 8 heures maximum. De plus, environ du 17 juillet 2019 au 17 août 2019, la surveillance acoustique de la personne 3 en dehors de chez elle a été ordonnée, celle-ci conversant selon les flics directement et pas au téléphone.

Au cours de l’enquête, une deuxième perquisition a eu lieu chez la personne 3 pour prélever des échantillons d’écriture et d’ADN.

Vélos, surveillances et GPS

Dans le cadre des observations, le sujet des vélos occupe une place importante. Tout simplement parce que les inculpé-e-s les utilisent pour bouger. Nous continuons aussi à penser que pour celles et ceux qui ont un grand besoin d’intimité, le vélo devrait être le moyen de choix pour les déplacements en ville. Les filatures en voitures sont ainsi plus simples à déjouer, on peut adapter son rythme, on peut aussi parfois utiliser les transports publics et la surveillance d’éventuel-le-s poursuivant-e-s est plus facile à détecter.

Il faut cependant faire attention à différentes choses : ça vaut toujours la peine de prévoir suffisamment de temps pour faire des détours, regarder derrière et autour de soi et faire les vérifications de sécurité. Qui ne connaît pas cela : les plannings sont serrés, cela engendre du stress et on relâche la garde. La routine est une affaire néfaste – elle nous donne de l’assurance, mais justement une fausse assurance. Nous avons toutes et tous nos chemins préférés et nos habitudes. Les questionner et en changer sans cesse rend la tâche bien plus difficile à d’éventuel-le-s poursuivant-e-s.

Il n’est pas clair si la filature « autorisée » de vélos par GPS a effectivement eu lieu. Dans l’ordonnance de surveillance de la personne 1 la requête est explicite (« Surveillance GPS, en l’occurrence de vélos »), cela semble donc être possible, du moins dans l’imaginaire du LKA. Mais il n’y a pas d’élément là-dessus dans les procès-verbaux. Nous – et certainement d’autres encore – aimerions beaucoup avoir des informations pratiques à ce sujet. En attendant nous ne pouvons que conseiller de vérifier régulièrement les vélos, d’en changer ou de s’en procurer de nouveaux. Laissez vos vélos le moins possible à portée de la main.

Ordinateurs portables, TKÜ et investigations ultérieures

Les manières d’enquêter que nous allons décrire ne surprendront pas la plupart d’entre vous. Nous les mentionnons pourtant afin de rappeler ce que les keufs mettent en branle, à quels faits supposés ils se raccrochent et sur quoi ils montent leurs constructions. En fin de compte, ce sont aussi des aspects à prendre en compte.

Au cours des perquisitions, ont été saisis surtout des ordinateurs et des téléphones portables ainsi que des disques durs, mais aussi des CD/DVD, des clefs USB, des cartes Sim, un I-Pod et une caméra.
Il a été démontré que mettre des noms sur les portes des chambres dans des colocations fait sens. Les flics se sont orientés selon les noms sur les portes et n’ont perquisitionné que les chambres de celle et ceux qui avaient été arrêté-e-s dans la nuit, ainsi que les parties communes.

Tous les médias saisis n’étaient pas cryptés – des réservations de voyage, des textes de tracts, des brochures, etc trouvés ont été utilisés par les autorités pour étayer l’histoire des anarchistes convaincu-e-s.
Les données d’ordinateurs portables et de disques durs encryptés ont été transmises par la police scientifique au BKA. Mais celui-ci n’est pas parvenu à les décrypter et un technicien d’Interpol appelé à la rescousse n’a vu aucune possibilité d’avoir accès aux données encryptées (notamment par Truecrypt, LUKS).
Dans les ordinateurs en partie chiffrés, au moins l’intégralité des « traces laissées par l’utilisation d’internet » a été lues (des Chats, courriers électroniques, Backups, bourses d’échanges, navigateurs internet, et y compris des données effacées). Aucune de ces données n’a été retenue comme « pénalement relevant », mais l’utilisation reconnaissable de programmes tels que TOR-Browser et de logiciels de cryptage a été considérée par les flics comme « un indice de communication conspirative ».

Après l’exploitation des médias saisis, les comptes e-mail, les numéros de téléphone, y compris un n°VoIP (Voice over Internet Protokoll : technique pour téléphoner en passant par internet), et tous les numéros IMEI (lnternational Mobile Equipment ldentity: n° de série composé de 15 éléments avec lequel chaque équipement utilisant le réseau de téléphonie mobile peut être identifié au niveau mondial), ainsi que les données d’encours et les données sur le trafic ont été demandés aux fournisseurs d’accès. Il est remarquable que les flics n’aient même pas pris la peine de demander les données de connexion à un fournisseur de gauche, considérant qu’ils n’en obtiendraient aucune information. Tous les autres fournisseurs de cartes sim et d’accès internet ont livré ces renseignements avec empressement.

L’analyse des téléphones portables a été effectuée par des programmes spéciaux du service de police scientifique. Au moins la mémoire physique a ainsi pu être lue.
Pour l’exploitation de cartes sim dans des cas de délits de grande importance, la Simcard-Identity et le PUK peuvent être demandés à l’opérateur de réseau concerné. Le fait que certaines cartes sim aient été enregistrées sous d’autres noms ou des noms fictifs n’a pas représenté d’obstacle. Comme dans les répertoires de contacts personnels des portables les numéros de téléphone I.d.R. étaient enregistrés sous les vrais (pré)noms, presque tous les contacts ont pu être identifiés – indépendamment du fait qu’ils aient eux-mêmes enregistré leur carte sim sous des noms fictifs.

La remise des données de connexion et de trafic a finalement été demandée rétroactivement, dans la mesure où les données seraient encore disponibles chez les fournisseurs d’accès. La demande de réquisition a été émise par le tribunal d’instance le 15 juillet 2019, tout compte fait très rapidement.
Nous avons déjà évoqué le fait que les communications par l’ensemble des appareils portables tout comme les données de localisation de la personne 3 ont été enregistrées après la dispense de prison préventive et pour un mois (officiellement). Cela concernait aussi la connexion VoIP.
Finalement les flics ont obtenu rétrospectivement les données de connexion (numéros de contact, horaire et durée). Ils n’ont cependant pu avoir accès qu’aux textes des SMS qui étaient encore dans les portables. Les keufs ont mis l’accent dans les recherches sur la semaine précédant les arrestations. En comparant quels SMS avaient été effacés ou pas, ils se sont lancés dans diverses hypothèses sur qui aurait eu un rendez-vous conspiratif avec qui.

Mentionnons encore à la marge que le Parquet s’est efforcé d’obtenir un mandat de perquisition de la cellule et des effets de la personne 2 en taule. Il espérait trouver des puces RFID dans certains vêtements portés la nuit de juillet en question, et en suivant le trajet de ces puces, d’obtenir des informations de la plus haute importance. Nous ne savons pas quels renseignements cela aurait pu fournir – aucune puce RFID n’a été trouvée sur les vêtements saisis et la requête de perquisition de cellule a été rejetée par le tribunal compétent.

Voilà pour une première analyse. Nous ne voulons pas provoquer de panique, mais nous espérons vous avoir informé et sensibilisé.
Stay safe et bon vent !