Paris : 23 années de taule distribuées contre les sept accusé.es de l’affaire du 8 décembre

[Note : Pour saisir la longue construction à charge de la DGSI et du Parquet national anti-terroriste (PNAT) contre les accusé.es de l’affaire du 8 décembre (notamment Libre Flot) et suivre leur défense devant les juges, des compte-rendus détaillés de la douzaine d’audiences du 3 au 27 octobre sont disponibles sur le Blog des comités du 8 décembre. On peut les lire ici. Le réquisitoire du parquet anti-terroriste se trouve là.
Le délibéré de la seizième chambre du tribunal correctionnel de Paris, vient de tomber aujourd’hui 22 décembre : condamnations pour « association de malfaiteurs terroriste » (avec inscription au fichier dédié, Fijait) et des peines de prison sans réincarcération immédiate (sursis probatoire de trois ans) ou avec aménagement possible du ferme restant à effectuer après la préventive (bracelet électronique).

  • Florian – 5 ans dont 30 mois avec sursis probatoire. Fijait.
  • Simon – 4 ans dont 25 mois avec sursis probatoire. Fijait.
  • William – 3 ans dont 20 mois avec sursis probatoire. Fijait.
  • Bastien – 3 ans avec sursis probatoire. Fijait.
  • Camille – 3 ans dont 2 ans avec sursis probatoire. Fijait.
  • Manuel – 3 ans dont 15 mois avec sursis probatoire. Fijait.
  • Loïc – 2 ans de sursis simple. Pas de Fijait.
  • Tous ont aussi interdiction de porter une arme pendant dix ans. Et tous se voient frappés d’une interdiction d’entrer en contact les uns avec les autres toute la durée de leur peine.
  • Concrètement, cela donne aussi : F, 8 mois sous bracelet ou en détention en fonction du JAP / S, 12 mois sous bracelet / W, 12 mois sous bracelet / C, 8 mois sous bracelet / M, 11 mois sous bracelet.
  • S’agissant de l’inscription au Fijait, cela signifie l’obligation de pointer tous les 3 mois au comico et de demander l’autorisation pour sortir du territoire français pendant 10 ans. L’inscription au Fijait est de 20 ans.

Ultragauche : sept sympathisants condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans et demi de prison
Le Monde/AFP, 22 décembre 2023

Sept sympathisants d’ultragauche jugés pour association de malfaiteurs terroriste ont été condamnés, vendredi 22 décembre par le tribunal correctionnel de Paris, à des peines allant de deux ans de prison avec sursis à cinq ans de prison dont trente mois avec sursis probatoire.

La peine la plus lourde a été infligée à Florian D., qui avait combattu en 2017 auprès des Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) au Rojava (nord-est de la Syrie) contre le groupe jihadiste Etat islamique. Il pourra toutefois bénéficier d’un aménagement de peine pour la partie de prison ferme qu’il lui reste à effectuer.

Vingt minutes après le début de la lecture du jugement, alors que la présidente était en train de dire que l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste était constituée, des personnes dans la salle d’audience ont manifesté leur désapprobation. La magistrate a alors demandé d’évacuer la salle. «Terroristes, c’est vous les terroristes ! », ont lancé des personnes. Une partie du public, qui a d’abord refusé de sortir, a finalement évacué la salle, et certains ont chanté dans le tribunal «A bas l’Etat policier».

Une trentaine de personnes, des proches des prévenus, sont toutefois restées dans la salle. Dans cette affaire, les sept prévenus, six hommes et une femme, ont comparu du 3 au 27 octobre.

Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a requis à leur encontre des peines de deux ans d’emprisonnement avec sursis à six ans ferme [avec mandat de dépôt]. Une interdiction de détenir une arme pendant dix ans a été également requise à l’encontre de tous les prévenus ainsi que, pour certains, une amende de 1 500 euros. La peine la plus lourde a été demandée pour Florian D., militant libertaire de 39 ans qui a combattu en 2017 auprès des Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) au Rojava, dans le nord-est de la Syrie, contre le groupe jihadiste Etat islamique.

Dans leurs réquisitions, les deux procureurs du Pnat ont insisté sur le rôle central de cet homme dans le dossier, seul «dénominateur commun» des autres prévenus. En effet, s’il connaissait tous les autres protagonistes, certains d’entre eux ne s’étaient jamais vus avant d’avoir été mis en cause dans cette affaire.

Lors des débats, les prévenus ont contesté les accusations. Dans ses plaidoiries, un des deux avocats de Florian D., Raphaël Kempf, a raillé «l’effilochement de ce dossier d’un groupe à un homme» et dénoncé le «récit» construit par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le Pnat. «Le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur» est «caractérisé par la volonté exprimée à plusieurs reprises (…) de porter atteinte à l’intégrité de policiers, de s’emparer d’armes», ou encore d’«organiser une milice armée», avait commencé à dire la présidente du tribunal, soulignant aussi que Florian D. était «la figure centrale» du dossier et qu’une «association» entre les diverses personnes du dossier existait.

A l’origine de l’affaire figure un rapport du renseignement intérieur sur un projet d’action violente fomenté par des militants d’ultragauche, et notamment par Florian D., rentré de la zone irako-syrienne en janvier 2018.

Surveillance et écoutes

Après plusieurs mois de surveillance et d’écoutes, les suspects sont interpellés le 8 décembre 2020 en divers endroits de France, puis mis en examen. Lors des perquisitions, les forces de l’ordre retrouvent des produits servant à fabriquer des explosifs et des armes. Pour l’accusation, les prévenus se sont livrés à des «entraînements de progression tactique et de tir» et ont fabriqué et testé des explosifs en vue de s’en prendre à des policiers ou des militaires.

Dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, les juges antiterroristes ont toutefois souligné qu’aucun passage à l’acte imminent n’avait été envisagé. Reconnaissant avoir fait des essais d’explosifs et quelques parties d’airsoft, les prévenus ont raconté des séances «ludiques» menées notamment pendant le confinement, sans aucune intention malveillante. Les avocats de la défense ont plaidé la relaxe pour l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste.


Du côté des avocats…

« La motivation succincte lue à l’audience par la présidente du tribunal signe une extension grave et politique de la notion de terrorisme » , dénonce Raphaël Kempf, le conseil de Florian D., auprès de Mediapart. « Le tribunal considère comme terroristes des intentions de s’en prendre à des policiers ou à des véhicules de police notamment dans un contexte de manifestation. Il accorde aux forces de l’ordre une protection spécifique de lois antiterroristes, alors qu’il existe dans le Code pénal une aggravation des peines encourues contre ceux qui s’en prennent aux policiers. »

Lucie Simon, qui annonce que sa cliente,
Camille condamnée à trois ans de prison dont deux avec sursis fera appel, estime que cette décision marque un tournant. « Il n’est plus nécessaire pour caractériser l’association de malfaiteurs terroristes de relier ses membres ni à une organisation terroriste, ni à une idéologie violente ou terroriste, ni à un projet terroriste. Même le parquet, dans ses réquisitions, n’avait pas osé une définition si extensible de cette infraction qui permettra demain d’incriminer de nombreux opposants. » Pour l’avocate, les peines « peuvent paraître absurdes » « L’interdiction d’entrer en contact qu’on pouvait comprendre pendant la phase d’instruction, sonne comme une punition presque perverse notamment pour certains qui sont amis de longue date » , commente-t-elle.

(Extraits de Mediapart, 22 décembre 2023)